Ce que les enfants nous apprennent


En 1999, quatre ans après l’ouverture du centre de soins, la nécessité de mettre en place un espace approprié pour les enfants s’est fait sentir. Un lieu spécifique pour entendre la voix de ces oubliés et tenir compte de leurs particularités.


CE QUE LES ENFANTS NOUS APPRENNENT

En 1999, quatre ans après l’ouverture du centre de soins, la nécessité de mettre en place un espace approprié pour les enfants s’est fait sentir. Un lieu spécifique pour entendre la voix de ces oubliés et tenir compte de leurs particularités.

Pourquoi un accueil spécifique?

À la différence des adultes, les enfants sont toujours accompagnés par quelqu’un et font rarement eux-mêmes la demande de consultation[1]. La (ou les) personne(s) qui accompagne(nt) le patient occupe(nt) donc une place très importante dans le déroulement du traitement thérapeutique. Il s’agit, à la première rencontre, de faire un travail de repérage afin de déterminer qui fait la demande : l’enfant ou celui qui l’accompagne ?  En général ce sont deux demandes très différentes, qu’il faut distinguer et traiter afin que l’enfant ne soit pas pris en charge contre son gré si la demande de consultation émane uniquement de l’accompagnant.

Sans l’existence de ce lieu, l’enfant serait encore pris dans l’histoire des adultes, dans l’histoire propre à l’exil qui implique que les enfants doivent grandir plus vite, avoir des responsabilités qui ne sont pas propres à leur âge et qui, pour certains, peuvent être très lourdes à porter. Par exemple, nous savons bien que les enfants servent très souvent d’interprètes à leurs parents pour toutes les démarches administratives. Pour autant, il ne s’agit pas d’écarter les parents ou les membres de la famille du travail thérapeutique, au contraire. La fonction de ce lieu dédié aux enfants est plutôt de les aider à trouver des moyens afin que chacun puisse à nouveau occuper sa fonction. Par ailleurs, les histoires de rupture et de violence de chaque famille font partie du travail de deuil et d’adaptation au nouveau pays. L’espace enfants ne cherche pas non plus à faire oublier ce qui s’est passé, mais bien à mettre en évidence ce qui, pour chacun, reste important dans son histoire.

Ce que les enfants nous apprennent

Grâce aux travaux menés par la psychanalyse, les enfants sont considérés comme des sujets à part entière. Ils ne sont pas des objets d’étude mais des sujets qui participent à leur traitement. Nous voudrions insister sur un seul point : l’importance des fictions pour la survie de la vie psychique. C’est dans les expériences hors du commun, sur les bords de l’inimaginable, de l’irreprésentable, que nous constatons l’irrépressible besoin de l’être humain de préserver ce que nous appelons la fiction. Primo Levi les appelait les « oiseaux de passage [i]» ces enfants qui n’ont pas été enregistrés à Birkenau, ces enfants qui ont eu la sinistre « autorisation » d’accompagner leurs parents. Nous disposons à présent de nombreux témoignages qui rapportent l’inépuisable nécessité qu’ils avaient de faire appel à une fiction pour supporter le présent.

Donner la possibilité aux enfants de se reconstruire à l’intérieur est un des objectifs de l’espace. Un travail pluridisciplinaire spécifique est donc nécessaire pour que les enfants puissent trouver des moments pour eux, propres à leur âge, et ainsi être dégagés des responsabilités liées à l’exil. L’espace enfants et adolescents répond à cette nécessité et l’ensemble des intervenants du centre de soins sont concernés. La prise en charge de plusieurs membres d’une même famille, par divers cliniciens, est aussi une pratique courante tant la reconstruction des liens entre les divers membres de la famille est indispensable.

À présent notre souhait est de continuer à échanger avec d’autres professionnels qui sont confrontés aux mêmes types de population et de demandes, afin de mieux accueillir, de mieux accompagner, et en même temps de transmettre et témoigner.

Armando Cote et Omar Guerrero, psychologues cliniciens et psychanalystes


[1] Lorsque des enfants ou adolescents arrivent pour la première fois au centre de soins, ils ne rencontrent pas l’accueillante chargée d’orienter et d’informer les patients. Ils ne sont pas inscrits sur liste d’attente et sont donc prioritaires.


[i] LEVI, Primo, (1947) cité par COQUIO, Catherine, dans L’enfant et le génocide, témoignage sur l’enfance pendant la Shoah, Paris ; Robert Laffont, 2007, p. XXII.

Source : Mémoires n°49