Relativement discret jusqu’alors, l’accueil par les particuliers à leur domicile de personnes exilées a été mis en lumière en 2022, avec l’arrivée de personnes en provenance d’Ukraine et l’afflux de propositions spontanées d’accueil. Cet élan de solidarité a rapidement été encouragé par le gouvernement, l’accueil chez des particuliers apparaissant comme une solution pragmatique à un besoin massif d’hébergement.
Chez JRS France[1], nous accompagnons depuis 2009 des particuliers désireux d’ouvrir leur porte, de façon gratuite et temporaire, à des personnes en demande d’asile laissées sans solution, à travers le programme JRS Welcome. Au terme d’hébergement, nous avons toujours préféré celui d’hospitalité, qui traduit une réalité qui va bien au-delà de la mise à l’abri. Par ce qui s’y vit, par l’engagement qu’elle implique et par sa portée symbolique, l’hospitalité est bien plus riche, pour celles et ceux qui accueillent, comme pour celles et ceux qui sont accueillis.
Au-delà de l’hébergement, notre action permet une expérience de rencontre et de partage, la découverte mutuelle et la création de liens qui perdurent souvent après la période d’accueil. L’expérience d’hospitalité dissipe la peur des différences, bien souvent elle nous déplace et nous enrichit.
Plus largement, nous sommes convaincus que l’hospitalité est une vision de société, une manifestation de la volonté de personnes de participer ensemble à la construction d’une société plus ouverte et accueillante. D’autant plus qu’à JRS cette expérience est partagée et relue, dans une dimension collective. Toutefois, si elle naît d’une immense générosité et d’une confiance en l’autre, nous devons nous garder des postures naïves : l’hospitalité comporte une prise de risque, celle d’accueillir chez soi, une personne qu’on ne connaît pas. Elle ne peut reposer sur la seule bonne volonté des personnes qui accueillent, et doit impérativement être accompagnée, cadrée, et nourrie d’une réflexion sur les motivations de l’engagement et sur les attentes de chacun des acteurs.
Les personnes que nous accueillons ont très souvent vécu des parcours complexes et traumatiques, et, sans hébergement, elles sont également souvent sans réel accompagnement social. Les accueillants peuvent être démunis face à l’ampleur des besoins, à la complexité de certaines situations, s’épuiser ou céder au découragement. Le cadre d’accueil que nous avons développé au fil des ans permet de limiter les écueils, en fixant des bornes temporelles et des règles à l’accueil, en définissant clairement le rôle et les engagements de chacun, en s’appuyant sur des partenaires pour accompagner les situations complexes.
Il arrive malgré tout, parfois, que la rencontre tant souhaitée ne se fasse pas, que la bienveillance ne suffise pas à soulager la souffrance, que les problématiques administratives et sociales prennent trop de place et ne se résolvent pas, que la personne accueillie ne se saisisse pas de l’aide proposée. Il est alors impératif de pouvoir prendre du recul, et de se satisfaire d’avoir pu offrir aux personnes un lieu de répit où elles auront pu se reposer, se nourrir, être considérées et mobiliser des ressources pour la poursuite de leur parcours. Nous sommes convaincus que l’hospitalité est riche, au niveau individuel comme au niveau collectif. Pourtant, à l’heure où certains s’interrogent sur l’opportunité de développer l’accueil par des citoyens comme une réponse à une carence structurelle d’hébergement, nous savons que l’hospitalité citoyenne telle que nous la concevons ne pourra jamais être une modalité d’accueil comme une autre : elle est porteuse de sens quand elle naît d’un engagement spontané et gratuit et d’un désir de rencontre, déconnecté des logiques de gestion de flux ; elle est sereine quand elle est accompagnée et réfléchie.
Audrey Vassalli, chargée de mission Santé à JRS France
[1] JRS France (Jesuit Refugee Service) lutte contre l’isolement et l’exclusion sociale des demandeurs d’asile et des réfugiés (source : https://www.jrsfrance.org/lassociation/).