Personnes âgées exilées : quel accompagnement social ?

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Phénomène nouveau pour les assistantes sociales du Centre Primo Levi, celui d’accompagner les personnes exilées âgées. Échange entre Pauline Langlade et Marion Chausserie-Laprée sur ces problématiques récentes.

Quelle est la situation sociale des personnes victimes de torture et de violence politique qui vieillissent sur notre territoire ?

Pauline Langlade : Vieillir est une vulnérabilité en soi. Donc, pour une personne qui a subi des violences politiques, cela rajoute une fragilité à une situation qui est déjà considérée comme étant très précaire. D’autant que la plupart des personnes exilées vivent dans une grande précarité. Ce qui est nouveau, pour le Centre Primo Levi, c’est leur arrivée à l’âge de la retraite qui va poser la question de l’ouverture de leurs droits. N’ayant pas cotisé tout au long de leur vie, elles n’obtiendront qu’une petite retraite. Certaines ne pourront prétendre qu’à l’allocation spécifique pour personne âgée (ASPA). Or, beaucoup de personnes ne savent pas comment s’y prendre, car cette démarche reste extrêmement laborieuse.

Marion Chausserie-Laprée : Ce n’est, en effet, pas le même circuit que pour un Français qui lui, dépend de la Sécurité sociale. Les personnes exilées relèvent de la MSA, la Sécurité sociale agricole, et doivent avoir leur dossier ASPA validé par le maire de leur commune. Si la personne n’a pas de logement, il faut qu’elle ait une domiciliation administrative.

PL : Cette démarche suppose également que la personne exilée ait été reconnue réfugiée ou ait obtenu un titre de séjour l’autorisant à travailler. Cependant, certaines personnes ont travaillé pendant 25 ans avant d’arriver sur le territoire français, dans des administrations ou autres métiers de leur pays d’origine et, une fois ici, il n’existe aucune reconnaissance de leur carrière.

L’autre difficulté est que les travailleurs sociaux du droit commun ne savent pas toujours comment constituer un dossier pour accéder à ce minimum vieillesse.

En dehors de la retraite, y a-t-il d’autres enjeux sociaux auxquels vous êtes confrontées ?

PL : Une autre problématique qui va se poser, c’est que vieillir avec une perte d’autonomie, cela coûte cher. S’il existe une solidarité familiale, la personne peut être aidée malgré sa dépendance. Lorsque ce réseau n’existe pas, la question du financement d’aides à domicile ou d’une place en institution se pose. Avec l’ASPA, l’accès à des aides à domicile est possible, mais les ressources ne sont pas toujours suffisantes.

MCL : Et puis, au-delà du peu de ressources, mobiliser les aides, les demander, faire valoir tous les droits, ce sont aussi des démarches qui ne sont pas simples à réaliser. D’où l’importance d’être bien accompagné, car les proches ne connaissent pas nécessairement les différents droits auxquels les personnes exilées peuvent prétendre. Et les professionnels ne sont pas toujours spécialisés sur ces questions. Ce qui peut engendrer un retard d’ouverture des droits, voire nécessiter un recours pour les faire valoir. Tout ce qui est énoncé concerne les personnes qui sont reconnues réfugiées. Avec un titre de séjour, la situation devient plus précaire, car il faut justifier de la possession de ce document autorisant à travailler depuis plus de 10 ans pour bénéficier de l’ASPA. Et les personnes déboutées, quant à elles, ne peuvent prétendre à aucune aide.

Que se passe-t-il alors pour les personnes très âgées, dépendantes et seules ?

PL : Malheureusement, les dispositifs existants, comme les centres d’hébergement d’urgence (CHU), ne sont pas adaptés pour les personnes exilées, déboutées, âgées et en perte d’autonomie, qui ont, par exemple, plus de 80 ans. Elles peuvent alors faire des allers-retours à l’hôpital, passer d’un service de gériatrie à un soin de suite gériatrique, justement parce qu’elles n’ont aucun lieu de vie adapté. Les EHPAD pour les personnes déboutées n’existent pas ! Des aides sociales pour financer les EHPAD s’obtiennent, mais pour des personnes en situation régulière. Sans ce statut de protection, pas d’aide à domicile, ce qui revient à rester dans un centre d’hébergement d’urgence. Mais, en cas de perte d’autonomie, nous sommes à la limite de l’indignité.

En réalité, ce qui complique l’accompagnement social, c’est l’errance administrative… Je reçois de plus en plus de femmes qui sont arrivées seules, vers 40 ans, avec leurs enfants restés au pays, et qui sont prises dans les limbes administratifs… A 50 ans, elles n’ont toujours pas de statut et ne peuvent donc pas travailler. Si nous parvenons à obtenir un titre de séjour autorisant à travailler, est-ce qu’elles seront en état de le faire à leur âge, abimées par la violence et le parcours d’exil ? À quoi vont-elles pouvoir prétendre ?

MCL : Concernant les personnes régularisées, une autre difficulté pour faire valoir leurs droits, c’est la barrière de la langue qui ne leur permet pas de s’adresser à ces services d’accompagnement. D’autant que c’est plus compliqué d’assimiler une nouvelle langue avec l’âge.

La précarité du logement, la barrière de la langue… voyez-vous d’autres difficultés propres à ces personnes ?

PL : Prenons l’histoire de Madame M. Elle a 74 ans et vit depuis 6 ans dans un centre d’hébergement d’urgence. Avec la juriste, nous travaillons à ce qu’elle puisse obtenir un titre de séjour. Un jour, elle arrivera éventuellement à être régularisée. La question qui se posera alors pour elle est : quel projet social envisager ? Que veut dire la changer d’environnement à son âge ? Lui faire perdre tous les repères qu’elle a depuis quelques années ? Lui trouver un EHPAD, par exemple, signifie aussi arrachement, perte, rupture, alors qu’elle l’a déjà vécu avec l’exil. Elle rapporte qu’elle préfère les désagréments de ce lieu plutôt que de bouleverser complètement sa vie. Elle pense ne plus être en capacité de s’adapter à quelque chose de nouveau. Alors, c’est possible de l’accompagner dans ce changement, mais qui est formé à l’exil et à la vieillesse ?

MCL : C’est difficile de créer du lien lorsque l’on est seul, qu’on n’a pas de famille sur le territoire et pas de travail. Donc, déplacer une personne âgée, c’est aussi mettre fin au peu de liens qu’elle a pu créer à l’échelle de son quartier et renforcer l’isolement.

PL : Par ailleurs, les centres d’hébergement d’urgence sont très démunis, parce qu’ils n’ont pas vocation à accompagner des personnes âgées exilées, en perte d’autonomie. Ils se retrouvent face à des problématiques de fin de vie, or, cela ne relève pas de leur compétence. Les équipes sont mises à mal, elles ne sont pas formées à cela. La question de la gériatrie et de la fin de vie sont extrêmement pensées à l’hôpital, mais, en dehors de cette institution, qu’est-ce qui est proposé à ces personnes ? D’autant que l’accompagnement en fin de vie ne signifie pas nécessairement « médicalisation ».

MCL : Et puis les CHU n’accueillent pas uniquement des personnes sans domicile et déboutées du droit d’asile. Celles qui sont régularisées peuvent également y vivre dans l’attente d’un logement. Et certaines d’entre elles arrivent à un âge où elles ont besoin d’un soutien pour prendre soin de leur chambre, se faire à manger, d’autant qu’elles y ont droit ! Cependant, ces services-là ne sont pas habilités à intervenir dans les centres d’hébergement et le personnel du centre d’hébergement n’est pas non plus formé pour faire ce travail. Nous nous retrouvons dans un no man’s land.

PL : Les infirmiers peuvent se déplacer dans les centres d’hébergement. Cependant pour être pris en charge par la Sécurité sociale, il faut que la personne ait un besoin relatif à des soins médicaux. Si nous réalisons une demande de soins infirmiers pour de l’aide à la toilette, par contre, ce n’est plus pris en charge par la Sécurité sociale. Il faut une prise des constantes, des traitements, des pansements… On parle ici de soins infirmiers, pas d’aide à la personne. Pourtant, un professionnel soignant et formé est nécessaire pour accompagner quelqu’un à la toilette ! C’est problématique car l’Aide médicale d’Ėtat prend bien en charge des soins infirmiers, mais pas ce qu’il y a autour du soin.

Au regard de ces conditions de vies difficiles, est-ce que la question du retour au pays se pose pour ces personnes âgées ?

MCL : Elles perdraient leur statut de réfugié si elles retournaient au pays. Or, si elles ont fui, c’est parce qu’elles étaient menacées… Pour celles qui se posent tout de même la question, après de nombreuses années loin de leur famille, il est difficile de revenir avec un état de santé dégradé. Elles ne souhaitent pas être une charge pour leurs proches.

PL : Et puis les contextes politiques des pays d’origine ne s’améliorent pas. La situation peut même s’être gravement détériorée depuis une dizaine d’années. Donc, un retour équivaut à un risque de mort. Au cours des entretiens, les personnes peuvent nous décrire leur situation qui relève d’une précarité extrême : sans possibilité de cuisiner ou d’avoir une intimité, de recevoir des amis… Eh bien, malgré cela, elles rapportent que cette situation vaut mieux que ce qui se passe au pays.

Travaillez-vous le lien social de ces personnes âgées ?

PL : Lorsqu’il existe une barrière de la langue, c’est difficile, mais il peut y avoir des initiatives comme le jardinage par exemple, qui permettent de participer à une activité en groupe.

MCL : Nous orientons les personnes qui ont une appétence pour le jardinage et nous constatons que l’échange entre les participants se fait même sans langue commune. Sinon, les cours de français peuvent participer à créer du lien, ou, cette fois-ci, sans notre intervention, la paroisse, qui peut être un soutien pour les personnes croyantes. Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef