Clowns Sans Frontières France est une association artistique et humanitaire qui intervient en France et partout dans le monde pour apporter, à travers le rire et le spectacle, un soutien psychosocial à des populations victimes de crises humanitaires ou en situation de grande précarité, en premier lieu les enfants. « Parce que l’accès à l’art et à la culture est un facteur d’émancipation et de respect de la dignité humaine », elle propose des interventions artistiques en faveur des populations réfugiées ou déplacées pour accompagner la reconstruction et le relèvement durable des populations victimes de déplacements forcés.
Depuis l’automne 2021, Clowns Sans Frontières propose des ateliers de pratique artistique à des familles accompagnées par le Centre Primo Levi, et j’y interviens depuis novembre 2022.
Au regard des objectifs de l’association, intervenir dans le cadre du suivi des familles au Centre Primo Levi est une évidence, comme il est évident de proposer des ateliers réguliers plutôt qu’un spectacle ponctuel, pour épouser le rythme du suivi, créer une régularité.
Ces ateliers ont lieu un après-midi par mois et s’adressent aux enfants et à leurs parents.
C’était émouvant, lors du premier atelier, de voir 14 personnes se présenter, sûrement un effet d’une annonce soignée de la part du Centre Primo Levi et de la qualité du travail proposé par l’équipe de l’année précédente. C’est d’autant plus impressionnant quand on apprend que les familles habitent loin, que c’est donc un gros investissement de temps et d’organisation pour venir. Il y a une attente, un désir, qu’il va falloir apprendre à connaître pour essayer d’y répondre.
Chaque atelier est animé par deux artistes et notre équipe est composée de trois comédiens clowns et d’une danseuse chorégraphe. L’objectif artistique de cette année est donc spécifiquement orienté sur le travail clownesque.
Parmi les artistes du spectacle vivant, le clown occupe une place singulière, en contraste : alors que les performances du musicien, de l’acrobate, du danseur ou de l’acteur suscitent l’admiration, le clown se prend les pieds dans le tapis, s’assied à côté de sa chaise, renverse son verre… bref, rate ce que tout un chacun accomplit facilement.
Il est non-performant, ne propose rien d’admirable, et pourtant il a lieu d’être, il est souhaité, aimé.
Le clown met le projecteur sur ce que la vie sociale nous apprend à dissimuler : notre faillibilité, notre incompétence, notre ridicule. C’est un exercice très libérateur, mais également périlleux, car il suppose pour chacun de dévoiler cette vulnérabilité. Or, les participants de nos ateliers n’ont pas choisi cette discipline qu’ils connaissent peu.
Notre rôle consiste donc à poser l’exigence artistique avec le plus de douceur possible.
Nous commençons toujours l’atelier par le même exercice : un jeu pour mémoriser les prénoms de chacun, en cercle, avec des balles que l’on s’envoie, et que l’on peut accepter ou refuser.
C’est un moment qui fait sas entre le quotidien de chacun et le groupe qui se constitue pour l’atelier : chacun est identifié individuellement et connaît chaque autre par son prénom, et c’est aussi un moment ou dire et entendre « oui » ou « non » n’est pas grave : c’est pour rire, c’est du jeu.
On propose aussi souvent « Un deux trois Soleil », qui est une belle transition entre le jeu d’enfant et la technique d’acteur, puisque ça nécessite à la fois de l’élan et du contrôle.
Après cette mise en jeu, il y a un temps d’apprentissage technique : une chorégraphie de percussion corporelle, un gag burlesque (trébucher, heurter un obstacle), un jonglage simple…
En fin de séance, chacun chausse le nez de clown et fait une entrée en scène, en solo ou en duo, pour présenter cette prouesse technique, avec un impératif, qui est une règle du jeu clownesque : regarder le public.
Donc oser, assumer d’être là, sur scène, sans être encore tout à fait prêt, et recevoir en retour que le public a plaisir à nous voir, est touché par l’effort sincère de faire de son mieux.
Nous avons déjà donné quatre ateliers sur la dizaine prévue cette année, et sommes frappés par la très grande adhésion des parents comme des enfants : ils ne se « prêtent » pas au jeu, ils s’y donnent, avec beaucoup d’enthousiasme, de générosité et de confiance.
On peut être tenté de faire résonner la particularité de l’art clownesque avec la situation de demandeur d’asile. Si résonance il y a, elle appartient à chaque participant qui trouvera peut-être, dans cette découverte de l’art clownesque, ce que Stanislaw Tomkiewicz* a appelé « un tuteur de résilience ». Nous l’espérons profondément.
Emmanuelle Bon, comédienne, pour l’équipe de Clowns sans frontières (CSF) : Cécile Bon, Emmanuelle Bon, Cécile Hambye, Marc Mauguin, Guillaume Van’t Hoff
*Stanislaw Tomkiewicz, né le 10 novembre 1925 à Varsovie et mort le 5 janvier 2003 à Paris, est un psychiatre et un psychothérapeute d’enfants et d’adolescents.