Basketball

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Je ne sais plus comment je suis arrivé ici. Enfin si, je sais mais je ne vous dirai rien. Je l’ai déjà dit tant et tant de fois que je ne me souviens même plus de leurs visages et puis souvent, il fallait supporter leurs silences ou leurs regards de tristesse et pire, ensuite, les questions. De toute façon, ils avaient raison. Je n’ai jamais dit la vérité. La vérité, c’est embarrassant. Je sais seulement que je veux oublier, tout oublier. Je sais juste que j’ai mal au ventre et que souvent, j’ai peur d’aller aux toilettes. Parce que ça fait mal. Alors je retiens, je retiens ce que je peux tant que c’est possible. Comme le sommeil, je le retiens. Parce que ça fait mal, aussi, le sommeil, les rêves.  Alors je retiens. C’est mieux que de laisser s’échapper mon corps. Il pourrait retourner là-bas, se dérober. Alors, je ne mange plus. Pour ne pas aller aux toilettes. Je ne dors plus. Pour ne pas être là-bas. Quelquefois, je me lave au vestiaire du gymnase. Après le basketball, avec les copains. Mais je me cache. Je ne sais même pas pourquoi. Enfin si mais je n’ai pas envie de savoir.

Je ne vois pas ce que l’on pourrait dire d’autre. En fait, c’est drôle. Je me vois en super 8. C’est plus cool que la 3D. Ça me fait mal aux yeux la 3D aussi. C’est marrant un garçon de mon âge, vous ne trouvez pas, qui connaisse le super 8 ? Ça c’est pas un secret. C’est juste qu’a priori il y a tout un tas de formats qui existent pour faire des films, je l’ai appris au musée du cinéma il y a pas longtemps. Et la super 8, c’est pas mal, l’image, elle tremble un peu et elle est floue. Les images ne sont pas très nettes, on voit pas bien les contours. C’est un drôle de truc. C’est comme regarder par le fond du verre du restaurant. La réalité est difforme… Bah moi, je dois me regarder par le fond du verre. Ou alors, je ne sais pas, je dois vivre ma vie comme un super héros. Pour préserver les autres, bah, il se sacrifie le gars. Moi je suis pas un super héros, j’ai pas de pouvoirs. Personne n’attend que je vienne le sauver. Alors je fais rire les autres, comme ça, parce que bon c’est quand même cool d’être en vie et de faire du basket. C’est gratuit. Enfin, je crois.

Je ne sais pas, je regarde ma vie à travers le fond du verre et je vous jure, ma vie ressemble à du super 8. C’est con. C’est moi et c’est pas vraiment moi. Au moins, ça me fait pas mal aux yeux et pis, quelquefois, il faut bien dormir alors les contours pas nets, c’est mieux pour le sommeil.

J’aimerais bien retourner à l’école, vraiment. Ça me rend triste. Enfin, je crois. Mais les filles, ça me fait peur, les garçons aussi d’ailleurs. C’est que certains trucs sont vraiment bizarres quand même. Les filles qui montrent leurs seins ou qui s’embrassent entre elles, les garçons aussi. C’est dégueu quand même, non ? Ça, je ne comprends pas mais je m’habitue. C’est comme ça ici, j’ai pas le choix, ça fait bizarre mais je veux bien faire avec. Parce que c’est comme ça. Oui, j’aimerais bien aller à l’école. Parce que j’aimais bien et que j’étais bon mais maintenant je ne saurais peut-être plus, en fait. Et puis je dors pas assez et j’ai mal partout. Mais c’est cool. Mon assistante sociale, elle est chouette, elle m’a parlé de son fils l’autre jour. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Ça m’a mis mal à l’aise. Comme si lui et moi c’était pareil. Mais c’est faux. Ça c’est la vérité. Que c’est pas pareil. Mais elle est cool. Je suis content de la voir mais souvent, j’ai envie de pleurer avec elle. Je ne sais pas pourquoi. C’est pas trop l’idée, je crois, non ? Ça devrait me faire du bien mais en fait, non. L’autre jour, j’ai pleuré. J’étais en 2D et ça m’a fait mal. Alors j’ai pleuré. Elle a rien dit, elle s’est juste assise à côté de moi et elle a mis son bras autour de mon épaule et elle a approché sa tête tout prêt de mon visage, comme ça. Comme si elle allait m’engloutir. Peut-être qu’elle voudrait. Pour m’éviter de pleurer et de me voir pleurer. M’engloutir serait mieux pour nous deux, en fait. Que je disparaisse. Et puis, je sais pas, elle est toute calme, elle dit rien, elle dit juste je sais, je sais, c’est difficile. J’ai envie de lui dire qu’elle sait rien mais ça lui ferait de la peine alors je me tais. Parce qu’elle essaie, parce qu’elle est là. J’aime pas faire de la peine aux gens qui m’aiment. Alors je dis rien. Elle essaie l’école, le basket’, la maison… y a rien qui bouge, normal c’est l’été mais elle essaie. Avec elle, j’arrive à voir un peu mieux les contours mais jamais longtemps. Parce que ça fait mal. Comme tout le reste. Mais elle est là alors je viens. Pour ne pas lui faire de la peine. Pour ne pas l’inquiéter. Parce qu’elle pense à moi, c’est sûr.

Elise Plessis, assistante sociale