Entretien avec une professeur et coordinatrice de classe UPE2A au collège, qui au-delà de l’apprentissage du français, cherche à ce que ses élèves se sentent comme les autres.
En quoi l’accueil des primo arrivants est-il spécifique à l’école ?
Tout parent qui arrive sur le sol français a le droit et même le devoir d’inscrire ses enfants à l’école. Les conditions de cette scolarisation sont précisées dans le bulletin officiel de l’Education Nationale qui vient aussi régir l’Unité pédagogique pour élève allophone arrivant (UPE2A) qui accueille les enfants exilés. Ce dispositif peut se mettre en place dans les écoles maternelles, primaires, au collège, au lycée général et professionnel. Il existe sous deux formes correspondants à deux types d’élèves qui arrivent : ceux qui ont eu une scolarité suivie dans leur langue maternelle et donc, qui ont des réflexes scolaires – ce sera une classe UPE2A classique – et une autre, les « non scolarisés antérieurement » (NSA) qui s’adresse aux enfants qui n’ont pas connu de scolarité continue. Généralement, ce sont des enfants qui ont beaucoup voyagé ou qui ont été obligés de fuir le contexte politique de leur pays d’origine et qui ne maîtrisent pas toujours leur langue maternelle, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Ils se retrouvent donc en total apprentissage, y compris des codes de l’école.
Au collège et au lycée, le dispositif d’accueil se situe à l’intérieur de l’établissement et fonctionne comme une classe à part.
Avant d’être orientée au sein de l’établissement scolaire, la famille est d’abord dirigée vers le Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV). Cette instance fait passer des tests de positionnement aux enfants dans leur langue maternelle (lorsqu’ils existent) afin d’évaluer leur niveau en mathématiques, en français mais aussi de compréhension dans leur langue maternelle. Il s’agit d’obtenir une indication de leur niveau scolaire. Si les enfants maîtrisent leur langue d’origine aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, ils seront dirigés vers l’UPE2A, si non, ce sera vers la NSA. Ensuite, un établissement scolaire leur sera attribué avec une indication de classe en fonction de leur âge et à laquelle ils seront rattachés plus tard.
A leur arrivée dans l’établissement, les enfants sont entièrement pris en charge par le dispositif de l’UPE2A, avec un emploi du temps dédié. Peu à peu, le professeur les évalue. Pour ma part, je les observe, je les fais travailler afin de voir leurs évolutions puis, avec mes collègues (enseignants d’autres disciplines, les autres corps de métiers comme le Conseiller principal d’Education (CPE) et la direction), nous attribuons une classe de rattachement en fonction des conseils issus du test de positionnement du CASNAV et de ce qui a été observé en cours. L’élève est donc inclus petit à petit dans sa nouvelle classe en commençant par des disciplines moins verbales, comme l’éducation physique et sportive, les arts plastiques ou la musique. C’est aussi pour eux l’occasion de faire connaissance avec un nouveau groupe.
Cette inclusion se déroule sur quelle temporalité ?
Lorsque les enfants arrivent en France, ce n’est pas nécessairement pour la rentrée de septembre ! Les inscriptions en UPE2A se font tout au long de l’année et le dispositif est mis en place pour un an de date à date, quel que soit le niveau. Pour les NSA, comme ils doivent acquérir les codes de l’école tout autant que la langue voire l’alphabet latin, ils ont droit à deux ans.
Ensuite, un projet personnalisé est construit pour chaque enfant. Selon l’élève, les inclusions peuvent commencer au bout de deux ou trois mois jusqu’à l’issue des 12 mois où il intégrera ensuite totalement sa classe.
Comment ça se passe pour vous au niveau du groupe si tout le monde n’arrive pas et ne part pas en même temps ?
L’enjeu, c’est en effet de parvenir à faire groupe avec des élèves qui arrivent tout au long de l’année, ce qui requière de la souplesse ! Depuis deux mois, j’accueille un nouvel élève, voire deux, toutes les semaines. Mon groupe initial était arrivé de manière perlée entre septembre et novembre, faisant alors groupe au mois de février-mars sans nécessairement être homogène. Au niveau de la dynamique groupale, cela permet cependant de travailler tous ensemble. Avec l’arrivée de nouveaux élèves, cette dynamique est freinée. C’est un travail collectif que d’accueillir et d’intégrer dans la classe le nouveau qui arrive. Cela nécessite de faire des activités qui puissent réunir différents niveaux. Par exemple, je peux travailler à partir de projets d’art visuel, comme la réalisation d’un portrait qui ne fait pas appel à de l’écrit. Commencer par travailler ensemble, amener du commun pour ensuite faire de la différenciation, en proposant trois formats de difficultés pour une même séquence ou trois cours différents. Ce qui permet de travailler en sous-groupe. Le un par un est impossible lorsque l’on atteint une classe de 22 malheureusement.
Est-ce que vous avez été formée pour cet accueil ?
Enseigner en UPE2A requière une certification. C’est un diplôme en plus du Capes qui se déroule en formation continue, une fois en poste.
C’est de l’enseignement du français FLE (français langue étrangère) et langue « de scolarisation ». Ce n’est donc pas uniquement du Français Langue Etrangère (FLE), soit le français de la vie quotidienne. C’est un français qui permet d’intégrer la scolarité française (comprendre les consignes, connaître les disciplines qui existent, acquérir l’organisation de l’école) et d’étudier les textes littéraires.
Que permet l’école aux enfants exilés ?
Personnellement, je pense que l’école offre un moment d’oubli. L’enfant est un élève parmi les autres. Il est anonyme. Son temps au sein de l’institution lui fait penser à autre chose que ses préoccupations liées à la vie quotidienne. J’estime que l’école a rempli sa mission quand je vois les élèves de ma classe jouer avec d’autres enfants du collège, discuter dans la rue, passer en trottinette… faire leur vie en fait !
Il arrive que je fasse appel à l’assistante sociale du collège pour les accompagner dans l’obtention d’un logement, d’un pass navigo, pour payer la cantine… Je fais l’interface lorsque c’est possible afin d’éviter de les placer en messager de leurs parents et que cela les préoccupe. La plupart du temps, ils se font gronder comme les autres ! L’école leur permet de sociabiliser. Généralement au bout de 6 mois, ils progressent bien, le français commence à être acquis, ils débutent les inclusions dans les classes. Une fois qu’ils ont découvert leur classe de rattachement, ils deviennent très en demande, très curieux et se font des amis. L’école les sort de leur quotidien même s’ils restent parfois sérieux et tristes.
Le cadre est important dans la construction de leur nouvelle vie, mais il est à ajuster. Pour cela, il faut tout d’abord qu’il soit posé. Et pour qu’il soit accepté, il doit être le même pour tout le monde, d’autant que les inclusions nécessitent de connaître le cadre. A mon sens, les épargner des règles qui s’appliquent à l’ensemble des élèves, c’est leur rappelerqu’ils ne sont pas comme les autres. Personnellement, je pense que le cadre doit être bienveillant, rassurant et permettre de travailler ensemble quelle que soit la salle dans laquelle nous nous trouvons. La collectivité oblige à avoir des règles communes et qui s’applique à tous, sinon, c’est un peu stigmatisant. Déjà qu’ils se sentent différents de ne pas être dans une classe normale. Leurs inquiétudes ressortent lors des « heures de vie de classe » qui permettent d’évoquer ce qui fonctionne ou pas dans la classe ou au collège. Durant ces temps, les élèves peuvent poser leurs questions. Par exemple, ils demandent pourquoi ils ne sont pas inclus. C’est l’occasion de leur rappeler le fonctionnement du collège qui repose sur un conseil de classe qui décide mais aussi de les questionner : « Que penses-tu des notes que tu as eues ? Est-ce que tu crois que tu pourras y aller bientôt ? » Au final, cette question est assez vite délaissée.
Les parents sont-ils investis par l’école ?
Le lien avec les parents est plus difficile car même si la plupart d’entre eux sont dans une démarche d’apprentissage du français, il existe une barrière de la langue. Par ailleurs, l’institution peut être intimidante. Les enjeux, les codes sont parfois méconnus car différents de la culture d’origine, ce qui ne favorise pas un investissement de la part des parents. Enfin, ils rencontrent des difficultés matérielles ou de manque de temps, comme le fait d’habiter loin, d’être pris par d’autres rendez-vous administratifs qui ne leur permettent pas de se déplacer jusqu’à l’école. Au-delà de ces obstacles, être en lien avec eux demande également de trouver le bon canal. L’espace numérique de travail n’est pas nécessairement le meilleur moyen dans la mesure où ces parents ne sont pas toujours connectés ou n’ont pas de matériel adapté. Dans la pratique, les messages écrits via les téléphones fonctionnement bien. Ils permettent d’avoir recours à un traducteur en ligne et de répondre selon sa temporalité. L’institution permet d’avoir recours à des traducteurs professionnels, ce qui est d’une grande aide.
Enfin, les décisions concernant les enfants se prennent conjointement avec les familles. Ne pas être la seule à choisir, être entourée et soutenue par des professionnels, comme l’assistante sociale, l’infirmière, les CPE, le chef d’établissement qui connaissent bien les enfants permet une scolarité ajustée à leurs progrès et à leur projet.
Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef.