Le cadre légal d’intervention
Défini en 2012 par la Charte de l’interprétariat médical et social professionnel en France, ce métier s’inscrit dans le domaine de la traduction et concerne les actes de la vie courante (accès aux droits, santé, scolarité, etc.).
L’interprétariat permet à deux interlocuteurs ne parlant pas ou peu la même langue de se comprendre et de communiquer. En ce sens, il se définit comme un interprétariat de liaison et nécessite des techniques adaptées : traduction orale, réversible et alternée.
En 2016, l’interprétariat est reconnu par le législateur qui l’intègre au Code de Santé Publique.
Dans le domaine de la santé, l’intervention de l’interprète est indispensable à l’accès aux soins des personnes peu ou non francophones pour garantir le respect des droits des patients[1]. Selon Sophie Pointurier, l’interprétariat est « un des instruments incontournables de l’effectivité du droit et de l’égalité de traitement entre tous [2]».
La place symbolique de l’interprète
Au-delà de cette fonction, sa présence favorise également l’adhésion des personnes accompagnées au dispositif de soin.
Marquées par les pertes, les ruptures, les deuils, les personnes exilées sont souvent victimes de persécutions graves dans leur pays, au cours du trajet ou à leur arrivée en Europe. Leur dénuement les place dans une situation d’extrême vulnérabilité physique et psychique.
L’accompagnement des exilé.e.s nécessite d’adapter les dispositifs de soin à la spécificité de leur vécu. Il s’agit d’accueillir et de reconnaître leur souffrance, d’offrir un cadre sécurisant et contenant, et de les inscrire dans une continuité.
Dans ce contexte, le recours à l’interprète médical et social est un levier précieux qui contribue de façon déterminante à la construction d’un lien de confiance entre la personne accueillie et le professionnel, mais aussi entre le patient et l’institution. Pont entre deux langues, entre deux cultures, entre deux mondes, il participe à cette situation d’accueil groupal comme un agent de liaison à la fois tourné vers le patient et vers le professionnel.
Avec la personne accueillie, l’interprète partage la langue maternelle ou véhiculaire et, à travers des référents culturels, il favorise des mouvements d’identification et de reconnaissance. L’interprète fait ressortir le monde d’où sont issus les mots et permet d’en discuter les nuances, invitant activement le patient dans le processus thérapeutique. Il matérialise l’altérité, ce qui permet au patient d’exprimer sa singularité et au groupe d’assurer le portage culturel.
Avec le professionnel, il partage la langue française, des référents institutionnels, un travail d’élaboration et de réflexion sur l’évolution des accompagnements. En tant que professionnel repéré de l’institution, il permet la création d’un espace partagé entre deux systèmes de référence. Il est associé à la circulation des mots et des paroles, mais il est aussi impliqué dans le partage des émotions et des affects.
Au-delà de la compréhension mutuelle, il facilite la création d’une alliance thérapeutique et participe à la construction d’un cadre contenant et sécurisant. Figure d’identification et de projection, il participe activement au processus thérapeutique.
Cette position complexe d’interface nécessite un accompagnement spécifique. Pour tendre à un principe de co-intervention, il est nécessaire d’aménager le cadre de travail. Des temps d’accordage entre les intervenants sont nécessaires et peuvent prendre la forme de pré et de post séances, de réunion d’équipe et d’analyse de la pratique. La qualité de l’accordage va permettre au binôme interprète/soignant de porter ensemble l’histoire du suivi du patient, tout comme d’échanger sur l’intensité émotionnelle vécue lors des séances. La présence de l’interprète, inscrite dans un dispositif groupal, permet de penser, partager et élaborer ensemble les accompagnements thérapeutiques.
Une formation soutenant le cadre d’intervention
Pour tendre à cette co-intervention, la formation des interprètes comme des professionnels ayant recours à l’interprétariat est nécessaire.
En 2017, la Haute Autorité de Santé émet des recommandations en matière de formation dans son référentiel sur l’interprétariat médical et social. Cependant, il n’existe pas, à ce jour, de diplôme d’État encadrant ce métier. La formation et l’accompagnement des interprètes sont principalement dispensés par les associations intervenant dans ce champ[3] et comprend des modules théoriques, du tutorat, des analyses de la pratique articulés avec une pratique professionnelle.
Ainsi, l’interprète apprend à maîtriser l’interprétation consécutive, qui nécessite qu’il restitue le contenu des échanges entre les deux parties par intervalles réguliers. Il scinde les discours par séquence et impose un temps de traduction, afin de maintenir une fluidité dans la communication. La communication inclut le verbal, le non-verbal, le para-verbal et la prosodie.
Comme défini dans la Charte[4], la formation initiale permet également d’intégrer les principales caractéristiques du métier : linguistiques, culturelles et émotionnelles. Dans sa traduction orale, l’interprète traduit tous les propos entendus pendant la séance et informe au préalable les parties présentes. Il traduit le sens des propos au plus près des nuances exprimées tout en garantissant une compréhension mutuelle et le maintien d’un rythme fluide dans les échanges.
L’interprète n’est pas spécialiste d’une culture. Néanmoins il repère les incompréhensions dans la communication interculturelle et peut offrir un éclairage culturel, géopolitique et sociolinguistique.
L’interprète apprend à maintenir une distance professionnelle, il se décentre de ses émotions afin d’exercer pleinement son métier. Les groupes d’analyse de la pratique permettent de mettre au travail les effets de la charge émotionnelle et des affects.
En complément de la formation, des temps de tutorat sont mis en place afin d’échanger sur le savoir-faire et le savoir-être des interprètes.
La multiplicité des contextes d’intervention de l’interprète médical et social nécessite de proposer des formations complémentaires qui introduisent des connaissances spécifiques aux divers champs d’intervention et au lexique utilisé.
Grâce à la formation, l’interprète s’approprie les quatre principes déontologiques[5] qui encadrent son métier :
- La fidélité de la traduction ; les discours sont restitués dans l’intégralité du sens, sans modifications de sa part.
- Le respect de la confidentialité et du secret professionnel.
- L’impartialité ; l’interprète ne prend pas partie, sa traduction est loyale par rapport aux protagonistes présents.
- Le respect de l’autonomie de la personne ; les choix exprimés par la personne sont respectés, la personne est libre de prendre des décisions en toute autonomie.
De nouvelles pratiques à inventer
La formation des interprètes contribue à la reconnaissance d’une profession en devenir et encourage son développement. L’accompagnement des professionnels au travail avec interprète, tant sur l’aménagement de leur dispositif que sur leur cadre de référence, est également nécessaire.
L’enjeu est de penser, créer, inventer de nouvelles modalités d’accompagnement en co-intervenance. En accordage avec le professionnel de santé, la place de l’interprète médical et social peut évoluer en interprète clinicien. Cette évolution nécessite une formation spécifique alliée à une expérience et une sensibilité clinique. Ainsi, le travail avec un interprète clinicien permet de revisiter la réflexion théorico-clinique des accompagnements des personnes peu ou non francophones.
Julia Masson, psychologue sociale, Carole Campbell, interprète et Charlotte de Bussy, responsable de Osiris Interprétariat pour Osiris
[1] Art L.111-2 ; L 1110-4 ; L. 1111du Code de Santé Publique.
[2] Sophie Pointurier, Théories et pratiques de l’interprétation de service public, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2017.
[3] À noter également l’existence de Diplômes universitaires, à titre d’exemple : Orspère Samdarra,, « Médiation interprétariat migration » ; Université Paris Cité, « Médiateur interprète dans les services publics » ; École Supérieure Interprétariat et de Traduction, « Traduction et interprétation judiciaires et de service public ».
[4] Charte de l’interprétariat médical et social professionnel en France, 2012.
[5] Idem.