De réfugié à cuisinier

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Des valeurs de partage, d’échange, associées à de la convivialité, la cuisine instaure un rapport qui ne se base pas sur un statut juridique. Ici, plus de réfugiés, mais des chefs avec des compétences et des idées de recettes imprégnées d’une autre culture.

C’est face aux images victimaires présentées par les médias que l’équipe du Refugee Food Festival (RFF) a décidé de réagir. Il fallait pouvoir transmettre l’idée que les personnes qui viennent chercher refuge sur notre territoire ne se réduisent pas aux événements catastrophiques qu’elles ont vécus ou à ce nombre indifférencié de migrants traversant les frontières pour « se déverser » en Europe. La cuisine est universellement partagée, qu’on la prépare ou qu’on la déguste. C’est le support idéal pour transmettre un peu de son identité, de son histoire. Lorsqu’on cuisine, le chef déloge le réfugié. Il est à nouveau un homme, une femme, avec un savoir-faire et une culture. D’où l’idée de solliciter les restaurateurs de Paris pour qu’ils prêtent, le temps du festival, leur établissement à des cuisiniers réfugiés.

Lors de la première édition, une dizaine de chefs parisiens ont répondu avec enthousiasme à l’appel des organisateurs. Ils ont accepté de partager leur espace avec des cuisiniers professionnels ou expérimentés pour qu’ils puissent présenter des plats de leur pays. Les habitants se sont massivement déplacés pour découvrir de la cuisine syrienne, sri lankaise ou encore afghane. Une fois leur service terminé, les chefs sont venus échanger avec les clients autour de leurs recettes. Cuisiner permet de présenter une autre image de soi. La culture supplante la guerre. Ce changement de place, de victime à cuisinier, a été particulièrement frappant dans leur rencontre avec les chefs français. Collaborer entre professionnels valorise dans le sens où chacun apporte à l’autre. Les cuisiniers sont reconnus pour leur savoir-faire, leurs compétences. C’est un moment où ils retrouvent de la dignité et de la confiance dans le fait de pouvoir se reconstruire. Les recettes permettent d’échanger sans parler la même langue, hormis celle de la cuisine. C’est une émulsion où chacun apprend de l’autre, dans un rapport égalitaire.

A l’issue du festival, les organisateurs ont voulu pérenniser cette activité culinaire afin que les cuisiniers ne perdent pas leur place. Des partenariats ont été réalisés avec des groupes de la restauration pour garantir à chaque chef une proposition d’embauche. L’accompagnement vers l’insertion professionnelle s’est aussi élargi aux demandes des cuisiniers. Pour ceux qui manifestaient l’envie de développer leur propre activité, l’équipe a su mobiliser la communauté de restaurateurs qui se fonde d’une manière générale sur l’entraide et la relation humaine. Pour les prestations traiteurs et les événements culinaires, l’équipe du RFF prend en charge toute la logistique et l’administration afin que les cuisiniers puissent se concentrer dans un premier temps sur la réalisation de leurs plats. Une fois familiarisée aux événements, la personne est progressivement formée à la gestion afin qu’elle puisse agir de manière autonome. Pour les cuisiniers qui souhaitent ouvrir leur propre structure, l’équipe a mis en place une résidence au Ground Control où les chefs peuvent tester leur carte, se faire un réseau de fournisseurs, commencer à se former aux logiques de la restauration et tout ce que cela implique sur le plan administratif et de la communication. C’est donc une approche globale qui est proposée, basée sur l’écoute et la valorisation de talents.

Si à l’origine le but du festival était de provoquer des échanges entre réfugiés et société civile, cela n’a pas été perdu de vue par la suite. De nouvelles opportunités de rencontres ont été mises en place dans des collèges ou des villes. Dans le cadre du prix Bayeux, les chefs ont cuisiné pendant une semaine dans les cantines scolaires. Cette occasion a permis aux enseignants de travailler avec les enfants sur la situation et la culture des pays d’où venaient les réfugiés. Les chefs se sont adressés aux élèves en leur présentant les moments importants de leur vie, illustrés par leurs photos.

Cette initiative a été très bien accueillie par le corps enseignant et a suscité de nouvelles envies. Des professeurs de musique, de sport ont manifesté leur désir de créer des échanges au travers de leur propre discipline.

Engager la société civile autour de la restauration est une fabuleuse passerelle pour créer du lien. Utiliser la cuisine permet de décloisonner, trouver de nouvelles manières de se parler et surtout de se présenter autrement. C’est cet autre regard qui permet à chaque réfugié d’être considéré comme un égal.

Pour connaitre les dates et les villes du festival (juin 2018) : http://www.refugeefoodfestival.com/