Qualifiés de délinquants pour les uns, figure de la vulnérabilité pour les autres, les « mineurs non accompagnés » (MNA) ne laissent pas indifférents si l’on prête attention aux discours politiques, médiatiques ou sociaux les concernant. Loin de ces deux pôles stéréotypés, ces jeunes venus d’ailleurs arrivent en France avec un parcours et une histoire qui leur sont propres. Il semble bien difficile de les rassembler dans une catégorie, y compris avec les critères d’être seuls, étrangers et mineurs. Cependant, tous traversent l’adolescence et les frontières dans leur singularité. Comment les accueillir aussi bien en tant qu’enfant réfugié à la recherche d’une protection internationale, qu’adolescent en plein questionnement sur son organisation subjective bousculé par la rencontre avec une violence extrême ?
A la lecture du rapport publié par Médecins sans frontières et le Comede, l’ensemble des jeunes suivis par un psychologue de ces deux associations a vécu ou a été témoin de violences ; ce qui n’est pas sans effet sur leur psychisme. Ils présentent des traumatismes qui peuvent être complexes, de la dépression et ont vécu de multiples pertes. Face à ces problématiques, émergent des réponses administratives, des enjeux politiques qui placent les professionnels ou bénévoles dans des situations presque paradoxales. D’un côté, c’est la rencontre avec un parcours d’exil violent vécu par un enfant seul, amenant un désir de soutien et de l’autre, un usage du droit visant à débusquer de faux mineurs qui vient entraver l’accompagnement.
Car l’enjeu administratif est là : seuls les moins de 18 ans ont droit à une prise en charge. Certains conseils départementaux – à qui reviennent la compétence de la protection de l’enfance – tentent de se décharger du poids que représentent ces jeunes dont la problématique diffère de ceux habituellement pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Dans cette logique purement bureaucratique, sont donc évacuées toutes les questions liées à la rencontre de la violence durant la période de la construction adolescente. Une fois que les jeunes sont placés dans un dispositif de protection, les professionnels sont pris dans une temporalité courte, où ils n’ont qu’une à deux années pour leur proposer un parcours d’apprentissage et professionnalisant cohérent avec leurs désirs d’enfant. Ce qui laisse peu de place aux autres aspects de l’accompagnement social. Pourtant, la mise en place d’ateliers par exemple, peut amener de la continuité là où il n’y a eu que ruptures.
S’ils sont considérés majeurs, les jeunes errent dans les rues de nos villes, à la recherche de lieux où dormir, de nourriture, de chaleur, de liens. Les citoyens viennent alors assumer les responsabilités que devraient prendre les autorités publiques. D’autant que la détermination médicale de l’âge n’est pas fiable scientifiquement et discutable au niveau de l’éthique, tel que rappelé dans une décision de la Cour de cassation du 12 janvier 2022. Laisser des mineurs à la rue va à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant, pourtant signée et ratifiée par la France. Ces dérives serait-elles en lien avec le discours du « réfugié menteur » ? Ou avec les litanies sur la jeunesse d’origine étrangère en France d’une part et sur l’immigration d’autre part ?
Pris dans ces différents discours, administratifs, politiques, ne tendons-nous pas à oublier qu’un jeune reste avant tout à protéger, y compris au-delà de 18 ans ? L’adolescence est propice à la découverte d’un autre sexué, participant alors à l’éveil de la puberté. Chacun devrait avoir la possibilité de faire ces rencontres qui permettent d’établir ses propres repères. Et plus largement, cette logique de minorité ou de majorité n’est-elle pas à dépasser ? Une personne, quelle que soit son âge, ne devrait-elle pas être accueillie et bénéficier de l’asile lorsqu’elle a été persécutée ?
Marie Daniès, rédactrice en chef