« Qui suis-je ? » Difficile de répondre à cette question tant cela reviendrait à quelque chose de figé, de constant, sans la nuance des multiples facettes avec lesquelles chacun d’entre nous compose. Cependant, ce qu’il est possible de dire, c’est que toute personne se construit à partir de diverses identifications, impliquant ainsi un autre qui vient nous renvoyer une image dans laquelle nous nous reconnaissons, ou non. Que se passe-t-il lorsque l’histoire de la personne est bouleversée par une rencontre avec une violence extrême qui vient alors détruire ce qui faisait sens jusqu’ici ? Comment se reconstruire lorsque ces événements poussent à l’exil et font perdre ses repères, en d’autres mots, ce qui participait à soutenir notre identité ?
Il ne peut y avoir de réponse générale à ces questions. Certaines personnes auront tendance à s’éloigner de ce qui faisait identité pour elles (comme une orientation politique, une appartenance ethnique, religieuse, sexuelle, etc.) alors que d’autres s’y attacheront davantage, soulevant dans les deux cas le rôle narcissique de ces appartenances d’une part, et l’importance de remanier ce qui fait identité dans l’après-coup du traumatisme d’autre part. Avec l’exil, s’ajoute une forme de conflit entre l’ici et là-bas. Les identifications pourraient alors avoir tendance à se rigidifier, soit parce que la personne cherche à se rattacher à des figures culturelles qui viendraient faire repère en terre étrangère, soit parce qu’elle se fond dans les catégories que la société d’accueil lui renvoie, comme celles de l’étranger, de la victime ou du survivant par exemple. Cependant, en tant que processus, la catégorisation enferme-t-elle les individus ? Chaque personne n’a-t-elle pas la possibilité de s’en saisir ou au contraire d’en refuser l’assignation ?
Au niveau juridique, la reconnaissance de l’identité est conditionnée par l’obtention d’une protection ou d’un titre de séjour, qui viennent alors ouvrir des droits et offrir une possibilité de s’établir. Sans une forme de régularisation, la personne voit son identité personnelle non reconnue par les pouvoirs publics et est qualifiée d’étranger irrégulier sur le territoire français. Pourtant, cette reconnaissance par les instances publiques joue un rôle important pour le sentiment de permanence que tout individu recherche. Du point de vue sociologique, que permet cette légitimité ? Pourrait-elle créer une continuité qui n’amènerait plus une division, à savoir choisir entre l’un ou l’autre pays et de composer enfin avec la multiplicité de son identité ?
En attendant de trouver sa place, qu’est-ce qui pourrait faire lien entre les deux pays et soutenir ainsi une forme de continuité dans l’identité ? La langue maternelle et la cuisine pourraient-elles jouer ce rôle, en véhiculant par exemple des éléments d’appartenance en terre d’exil ? Comment s’exprimer, être entendu et prendre place dans une nouvelle société lorsque le vocabulaire nous manque ? Car au-delà des mots, c’est toute une panoplie d’affects qui ne peut plus s’exprimer. Ensuite, la cuisine peut-elle servir, au-delà du folklore, d’outil de médiation pour favoriser la rencontre entre deux personnes, et donc participer à travers le regard de l’autre, à la reconnaissance de sa propre identité ?
Enfin, comment se construire en tant qu’enfant avec le manque ? Si le processus d’identification s’établit notamment grâce aux paroles énoncées par les parents, comment faire lorsque l’un d’eux est décédé ? Là encore, nous proposons de réfléchir sur la manière de parler de l’autre absent, de le faire exister au sein de l’espace thérapeutique afin de rétablir sa place.
Marie Daniès, rédactrice en chef