Le Service jésuite des réfugiés (JRS) a mis en place le programme JRS Ruralité à destination des personnes exilées voulant passer quelques jours à la ferme ou à la campagne. Rencontre avec Lucile Froitier, animatrice de JRS Ruralité.
Le programme JRS ruralité a été créé en octobre 2018. Quels sont les différents volets de ce programme ?
Lucile Froitier : Notre programme a été initié par l’association JRS France (Jesuit Refugee Service) et mis en expérimentation dans les départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et de la Corrèze. Notre idée principale était de trouver des manières de créer du lien entre les personnes exilées et les acteurs et actrices du monde rural, qu’il s’agisse de simples habitants, familles d’accueil, fermes du réseau WWOOF France, potentiels employeurs et structures associatives.
Le programme s’articule autour de trois volets. Tout d’abord les courts séjours. L’idée principale est de pouvoir proposer l’hospitalité à la campagne. Cette proposition s’adresse aux demandeurs d’asile et réfugiés statutaires qui ont déjà une solution d’hébergement, ces courts séjours viennent donc en plus d’un hébergement pérenne. Les personnes exilées peuvent être accueillies soit par des familles qui habitent à la campagne ou dans des fermes du réseau WWOOF France. Le deuxième volet a pour objectif d’utiliser la campagne et le milieu rural en tant que support d’animation. Nous proposons notamment des randonnées une fois par mois, en mettant à pied d’égalité des Français et des réfugiés qui les co-animent. Les ateliers sont très divers, comme des échanges autour de l’utilisation des ressources naturelles pour la conception de nourriture et produits ménagers. Nous faisons en fonction des propositions de nos équipes de bénévoles, et ouvrons ces activités aux demandeurs d’asile et réfugiés résidant dans la ville de Limoges. Le troisième volet, qui est pour l’instant le moins avancé, concerne l’insertion et l’intégration à long terme de personnes réfugiées dans des milieux ruraux. Nous faisons partie avec huit autres associations d’un consortium qui accompagne l’insertion de réfugiés statutaires, dans lequel nous nous occupons du volet rural et animons un groupe de réflexion sur la place des migrants dans le travail agricole. A terme, nous souhaiterions lancer des actions pour en faire une plateforme de mise en lien afin de former ou embaucher des personnes réfugiées.
Quelle a été la genèse de ce projet ?
Tout est parti d’une intuition qu’il pourrait être intéressant d’avoir une bonne répartition territoriale des personnes réfugiées. Comme beaucoup d’autres acteurs de la solidarité engagés auprès des exilés, nous avons pensé qu’il y avait de la place et des choses à faire pour l’accueil des personnes réfugiées en milieu rural. Nous nous sommes vite rendu compte que les personnes exilées ne pouvaient pas forcément participer à des programmes de mobilité géographique. C’est là que nous avons eu l’idée de ces courts séjours afin de questionner l’imaginaire qu’elles pouvaient avoir du milieu rural. C’est pour les réfugiés un temps de pause dans leur parcours, qui leur permet de découvrir ou redécouvrir sans engagement le milieu rural, et donc une autre réalité que la vie urbaine.
Les réfugiés qui participent au projet viennent-ils généralement d’un milieu rural ?
Nous ne posons aucune condition de recrutement, il n’est pas nécessaire pour les réfugiés d’avoir vécu en milieu rural dans leur pays d’origine pour participer. Au début du projet, on nous orientait beaucoup d’anciens cultivateurs, mais pour ne pas rester enfermé dans ce schéma, nous insistons désormais sur le fait qu’on peut vouloir passer un moment à la campagne tout en étant urbain. Il faut aussi garder à l’esprit que dans certains pays, la métropolisation est moins avancée qu’en France, on peut être urbain tout en gardant un contact avec l’agriculture vivrière.
Quel est l’effet de ce contact avec la nature, avec le vivant, pour les personnes exilées qui participent à vos programmes ?
Les témoignages sont nombreux sur la manière dont beaucoup de personnes se révèlent durant leur séjour à la campagne. Comme pour cet Afghan dont le père était menuisier, qui pendant une semaine a travaillé le bois chez un accueillant, ou un réfugié dans une ferme pédagogique qui va montrer directement comment traire une chèvre. Ce sont des gestes qu’on peut difficilement voir ou reproduire en ville. Une de nos bénévoles qui anime des ateliers sur l’utilisation des plantes sauvages s’intéresse régulièrement à l’utilisation qu’on fait des plantes – comme la menthe par exemple – selon les pays d’origine. On se rend compte qu’on peut retrouver des usages communs culturellement avec des choses très simples, qui amènent à se relier, se reconnecter. Or, c’est précisément là un des principaux objectifs de JRS Ruralité, récréer des liens. Toutes ces histoires de gestes qui rappellent, ce sont des repères retrouvés qui contribuent à amener un mieux-être.
Quel bilan tirez-vous des deux premières années de JRS Ruralité ?
Nous portons un regard très positif sur nos deux premiers volets d’action. Le programme de courts séjours essaimé dans d’autres endroits en France, est assez facile à mettre en place et répond aux attentes des accueillants comme des accueillis. En 2019 uniquement, 88 personnes ont été accueillies pour 73 séjours, dont 43 en famille et 30 en WWOOFing solidaire. Nous ressentons un réel engouement de la part des lieux accueillants et des fermes du réseau WWOOF France. Du côté des accueillis, nous réalisons un bilan après chaque accueil, mais nous n’avons pas encore pu tirer d’enseignements sur des parcours d’intégration très longs. Néanmoins, il ressort de ces bilans que la très grande majorité des accueillis ont la volonté de faire un autre séjour. Les personnes exilées qui participent à ces courts séjours nous disent que si les conditions sont réunies, par exemple si elles obtiennent le statut de réfugié et ont accès à l’emploi, elles préféreraient s’installer à la campagne. Les vertus de l’activité ressortent aussi dans tous les bilans, il y a toujours quelque chose à faire à la campagne, que ce soit s’occuper des animaux, des travaux des champs, de potager, du marché… Cela permet aux accueillis de s’évader de leur condition d’exilés, d’avoir un but. Le calme du milieu rural, sa temporalité différente des villes et de ses démarches et préoccupations quotidiennes, sont aussi souvent mis en avant. Pour nombre de réfugiés qui participent à notre programme, c’est une pause, une parenthèse bienvenue dans le long parcours de l’exil. L’enjeu principal pour la suite, c’est le développement de notre troisième axe, l’insertion et intégration à long terme en milieu rural, mais aussi la pérennisation de nos deux premiers volets, avec la création d’autres antennes en France, notamment autour de Bordeaux, Laval et dans le département des Bouches-du-Rhône.
Propos recueillis par Pierre Motin, responsable communication et plaidoyer.