« Contrairement aux attentes judiciaires, l’âge osseux n’est pas un détecteur de mensonge [1]. » Cette formule de Patrick Chariot, professeur de médecine légale, synthétise parfaitement la difficulté qui est au cœur de la question de la détermination médicale de l’âge des mineurs non accompagnés (MNA). À ce titre, de nombreuses instances se sont prononcées contre le recours aux tests osseux : la Société française de pédiatrie, le Haut Conseil de la santé publique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Défenseur des droits, le Comité des droits de l’enfant, le Parlement européen, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, etc.
Dans le cadre de son positionnement contre l’instrumentalisation de la médecine à d’autres fins qu’une visée thérapeutique ou de santé publique, Médecins du Monde s’est opposée de façon constante à l’utilisation des examens médicaux en vue de la détermination de l’âge d’une personne. Prise isolément ou combinée à d’autres, aucune méthode médicale n’apporte à l’heure actuelle des informations scientifiques suffisamment fiables et précises pour déterminer l’âge biologique des mineurs évalués. Nous dénonçons l’absence de pertinence scientifique et éthique de ces tests, et leur caractère attentatoire aux droits de l’enfant.
Sur le plan scientifique, les tests osseux sont condamnés par la plupart des instances médicales et scientifiques françaises, européennes et internationales, en raison de leur absence de fiabilité. Tout d’abord, l’utilisation d’examens destinés à évaluer un niveau de maturation osseuse ou dentaire ne permet aucunement d’établir un âge civil, puisqu’ils n’ont été conçus que pour détecter les troubles de la croissance. De plus, ces examens comportent une marge d’erreur significative : les tests de maturation dentaire sont peu fiables après 12 ans, compte tenu du fait que le développement dentaire est très hétérogène et est particulièrement influencé par les facteurs environnementaux. La radiographie du poignet, un des examens les plus couramment utilisés, présente des marges d’erreur pouvant aller jusqu’à 2 à 3 ans et est particulièrement imprécise entre 16 et 18 ans, puisqu’elle est basée sur un atlas de référence (Greulich et Pyle) issu de tests réalisé entre 1935 et 1941 sur des enfants nord-américains bien portants de la classe moyenne. Seul l’examen tomodensitométrique de la clavicule permet de définir avec certitude si l’âge de la personne est supérieur ou inférieur à 21 ans, ce qui n’est d’aucun recours puisque les mesures de protection s’appliquent avant la majorité à 18 ans. En plus de leur imprécision, les méthodes utilisées sont largement contestables puisqu’elles sont réalisées avec des rayons ionisants et sont soumises à une forte variabilité en fonction de l’origine géographique et des conditions socio-nutritionnelles des personnes concernées. En effet, des études démontrent qu’il existe des différences notoires de développement entre des personnes d’origine ethnique et/ou socio-économique différentes, ce qui fait douter de la pertinence de cette méthode pour déterminer l’âge d’une population non européenne.
Enfin, l’évaluation médicale de l’âge n’est pas basée sur un protocole unique et opposable appliqué au niveau national, ce qui permet des détournements méthodologiques et la rédaction de rapports de réquisition au contenu très aléatoire (certains médecins, n’indiquant pas l’écart-type, se prononcent sur un âge précis ou un âge supérieur à 18 ans sans préciser de fourchette d’incertitude, de nombreux rapports de réquisition sont lacunaires, etc.).
Sur le plan éthique, la détermination médicale de l’âge à des fins judiciaires, remise en cause en France et dans d’autres pays européens depuis longtemps, est largement contestable en raison de l’absence de validité scientifique des méthodes utilisées, de l’absence d’enjeu thérapeutique (donc, ces examens ne sont pas faits dans l’intérêt de l’enfant) et de l’absence courante de recueil du consentement des jeunes soumis aux tests, ou de son détournement. Il faut préciser que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2018-768 du 21 mars 2019, est venu renforcer l’exigence du consentement en prévoyant que les tests osseux ne peuvent être mis en œuvre « qu’après que le consentement éclairé de l’intéressé a été recueilli, dans une langue qu’il comprend » et a ajouté une garantie supplémentaire en énonçant que « la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux », ce qui, en pratique, était possible jusqu’alors. Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas précisé les sanctions en cas de non-respect de la loi (article 388 du Code civil), notamment le fait que les conclusions des tests osseux doivent être écartées ou déclarées nulles si ces tests ne respectent pas le recueil de l’accord de l’intéressé.
Sur le plan de l’interprétation judiciaire, les magistrats établissent des interprétations abusives des conclusions des examens médicaux de détermination l’âge. Ceux-ci constituent dès lors un instrument, utilisé fréquemment, pour remettre en cause la minorité des MNA demandeurs de protection. Ces pratiques abusives sont liées au non-respect du caractère subsidiaire des examens (contrairement à ce qui est prévu par la loi, le recours aux tests de maturation osseuse est quasiment systématique, et ce même lorsque les jeunes possèdent des documents d’état civil dont l’authenticité n’a pas été contestée), au détournement de leur caractère non suffisant (contrairement à ce qui est prévu par la loi, les conclusions de ces tests priment parfois sur les autres éléments contenus dans le faisceau d’indices) et du non-respect régulier du principe du bénéfice du doute.
Ces examens radiologiques sont régulièrement instrumentalisés au profit d’arbitrages migratoires. Ils représentent un obstacle majeur à l’accès aux droits et aux soins de ces jeunes isolés et renforcent considérablement leur fragilité. L’utilisation des tests osseux a de lourdes conséquences sur les conditions de vie, la santé et les droits des MNA. Ces enfants et adolescents, particulièrement vulnérables en raison de leur âge, de leur parcours migratoire et des traumatismes qu’ils ont vécus, risquent, sur la base de tests non fiables, de se retrouver exclus de toute protection, à la rue, sans accompagnement social, sans scolarisation, et d’être exposés aux violences induites par cet environnement précaire et dangereux.
Pour ces raisons, la détermination médicale de l’âge, telle qu’elle est pratiquée à l’heure actuelle, est inadaptée, indigne, génératrice de violence et va à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant et de nos engagements internationaux. Médecins du Monde milite pour l’interdiction de tout examen médico-légal visant à déterminer l’âge des MNA au profit d’une évaluation de la situation des mineurs non accompagnés fondée sur des éléments objectifs (comme les documents d’état civil) et conforme au principe de présomption de minorité. Il est urgent de faire prévaloir le statut d’enfant en danger pour tous ces adolescents et de mettre en œuvre une véritable politique publique leur permettant un exercice effectif de leurs droits, notamment une mise à l’abri immédiate, la sécurité, la santé et l’éducation, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant et, plus largement, aux engagements conventionnels de la France.
Camille Boittiaux, référente mineur.e.s en danger pour Médecins du Monde
[1] Patrick Chariot, « Quand les médecins se font juges : la détermination de l’âge des adolescents migrants », Chimères, 2010/3 (n° 74), p. 103-111.