Entretien avec Mathias Venet, responsable de la mission « rétention » à l’Ordre de Malte France et Laetitia Ndiaye, chargée de mission juridique ayant travaillé plusieurs années à la permanence juridique du centre de rétention administrative de Metz-Queuleu.
Quel rôle la mission « rétention » de l’Ordre de Malte assure-t-elle ?
Nous intervenons depuis 2010 dans les centres de rétention administrative (CRA) de Lille, Metz et Strasbourg, où nous assurons des permanences juridiques. Aujourd’hui les familles ne sont plus placées en rétention à Lille ni à Strasbourg mais le sont toujours à Metz. En 2017, encore 162 enfants ont été placés en rétention avec leur famille.
Pour quelles raisons les familles sont-elles retenues dans certains centres de rétention ?
En France, il y a encore deux ou trois CRA qui pratiquent régulièrement la rétention des familles. Sur 10 centres habilités, ceux de Metz, du Mesnil-Amelot et de Toulouse en reçoivent toujours. À cela s’ajoute le CRA de Mayotte où plus de 2000 enfants ont été enfermés en 2017. Depuis 2015 au CRA de Metz, on a constaté une forte augmentation du nombre de familles en rétention. Selon les préfectures, il s’agit de répondre à un afflux de population en provenance des Balkans. Cependant, dans le CRA de Lyon où la situation est assez similaire à celle de Metz sur le plan des flux migratoires, leur nombre a au contraire diminué.
Combien de temps dure l’enfermement ?
La plupart du temps, les familles sont placées la veille pour un départ forcé le lendemain car elles sont déboutées de leur demande d’asile. Au début, c’était surtout dans le cadre d’une obligation de quitter le territoire français. Puis sont arrivées des familles en attente de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne, responsable de l’examen de leurs demandes d’asile, notamment vers l’Allemagne. Ces placements en rétention pourraient être évités, par exemple en privilégiant l’assignation à résidence dans un hôtel à proximité de l’aéroport, la veille du départ. On est sur un enfermement de « confort » de l’administration, d’ailleurs prévu comme tel dans les textes qui évoquent les « contraintes liées aux nécessités de transfert ». Le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la CEDH se sont prononcés contre l’enfermement des enfants au regard des traumatismes qu’il peut engendrer. Malgré cela, l’administration fait prévaloir la situation administrative et les nécessités organisationnelles du départ forcé.
Au CRA, comment l’espace est-il aménagé pour les familles ?
Au CRA de Metz, il y a des zones aménagées pour les familles. Une « zone famille », c’est une grande chambre avec un lit double et des petits lits pour les enfants ou les bébés. Cela reste une architecture inspirée du milieu carcéral, un lieu de privation de liberté. C’est assez petit, on a eu des familles placées avec cinq enfants donc sept personnes dans une seule pièce. La « zone famille » est séparée de la « zone hommes » d’un simple grillage, les enfants peuvent donc être en contact visuel permanent avec la zone de vie des autres retenus, alors que la rétention est un lieu hautement anxiogène et propice à la violence. Ils sont également soumis au stress des hauts parleurs qui sont activés très régulièrement par la police pour appeler les personnes retenues.
Quel rôle de parent est encore possible quand on est en CRA ?
La famille reste unie dans un seul et même endroit. Mais hormis cela, les parents ont une liberté vraiment restreinte dans l’encadrement et l’accompagnement de leurs enfants. Par exemple, pour avoir des couches ou du lait maternisé, il faut demander un accès particulier à la bagagerie pour aller récupérer ses affaires, si l’on a pu en emmener. Plusieurs études sur la question évoquent également la dégradation de l’image parentale aux yeux des enfants suite à leur privation de liberté puisqu’ils sont alors témoins d’une certaine forme d’impuissance.
Comment se passe la journée d’une famille en centre de rétention ?
Dans une journée type, la famille arrive en centre de rétention puis elle passe par le Greffe pour récupérer des documents et pour la notification des droits en rétention. Elle va ensuite à la bagagerie pour laisser ses effets personnels. Puis les personnes sont conduites dans leur zone de vie. Enfin, elles attendent. Elles attendent d’être appelées par haut-parleur, soit par le médecin, soit par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration qui est présent en CRA, soit par l’association en charge de l’accompagnement juridique.
Quelles activités sont prévues pour les enfants ?
Contrairement à la prison, aucune activité n’est prévue au CRA, car c’est avant tout un lieu pensé comme un lieu de passage. Dans le CRA de Metz, il y a quand même un accès à l’extérieur qui est possible toute la journée. Dans la « zone famille », il y a des jeux extérieurs pour les enfants, notamment un toboggan. Mais c’est une zone entourée par des grillages. Comme évoqué, ces grillages donnent une visibilité complète sur les zones de vie des hommes. Donc si les enfants veulent jouer dehors, ils restent malgré tout visibles par tous. On a eu le cas d’un enfant qui était alpagué, apostrophé continuellement par un retenu qui avait de gros troubles psychologiques ou psychiatriques, de l’autre côté du grillage. Cela mettait l’enfant mal à l’aise et finalement tout le monde a convenu que l’enfant devait arrêter de jouer dehors.
Quelles sont les possibilités de suivi médical et psychologique en CRA ?
Depuis quelques années, l’unité médicale du centre doit s’assurer, quand il y a un placement de famille, que la santé des enfants est compatible avec la rétention. Mais la plupart des familles sont sur les lieux en dehors des temps de présence de l’unité médicale. Souvent, les enfants sont placés la veille au soir pour être éloignés le lendemain et ne peuvent donc pas voir de médecin. L’enfermement des enfants se banalise et le médecin est assez démuni face à cette situation. Quant au suivi psychologique, il n’y en a malheureusement aucun ! Ni psychologue, ni psychiatre, ni pédopsychiatre.
Quels effets physiques et psychiques de l’enfermement avez-vous pu observer chez les enfants ?
On a eu le cas d’un enfant qui avait des éruptions de boutons et qui refusait de manger parce que sa mère ne se nourrissait pas. Il l’imitait. Il arrivait très difficilement à dormir. La journée, à cause des haut-parleurs, il ne pouvait pas faire sa sieste. La nuit, il était affolé. Au début de la rétention, cet enfant était vraiment très vif, très dynamique, il faisait des coloriages dans notre bureau. Plus les jours avançaient, plus il était apathique, il n’avait plus envie de jouer. Il perdait sa joie de vivre au fur et à mesure de la rétention. Il ne faut pas oublier qu’au CRA, les enfants arrivent hagards, ils sont inquiets, ils ont été interpellés à domicile souvent très tôt le matin, c’est un facteur de stress. Ils sont sous le choc d’une interpellation policière. Ils nous demandent ce qu’ils ont fait de mal, pourquoi ils sont enfermés. Il y a aussi eu le cas d’une petite fille qui pleurait et demandait à retourner à l’école, et bien d’autres cas encore…
Quels mots peut-on employer pour expliquer l’enfermement aux enfants ?
Ça dépend de la situation. On fait plutôt une information générale. On essaye de clarifier : pourquoi la famille est ici ? Qui les a enfermés ici ? Dans quel but ? Et on va expliquer qu’il existe des possibilités de voir un juge, qu’il y aura probablement un renvoi par avion le lendemain. On cherche à vulgariser le propos. C’est surtout un discours qui va être adapté pour les parents, pour qu’ils comprennent le contexte dans lequel ils sont placés, et pour qu’ils puissent le transmettre aux enfants à leur tour.
Quel est l’impact de l’enfermement sur les liens intrafamiliaux ?
On a récemment eu le cas d’un père de famille qui nous a envoyé un courrier pour nous expliquer ce qu’il avait ressenti.
Cette famille avait déjà quitté l’Arabie saoudite… pour éviter un enfermement ! Pour un simple transfert vers l’Italie, la police est venue les interpeller à domicile. Le policier a mal parlé à une des petites filles. Ça a énormément choqué les parents qui n’avaient rien le droit de faire. Les policiers les ont même suivis quand ils sont allés aux toilettes. Le père, diabétique, était obligé d’uriner régulièrement parce qu’il n’avait pas pris d’insuline, et il disait aux policiers : « Si vous restez derrière moi, je ne peux pas uriner ». C’était une situation extrêmement humiliante, vécue devant les enfants.
Quel suivi des familles est possible après la rétention ?
Cela fait trois ans qu’on essaie de mettre en place une prise en charge pédopsychiatrique des familles une fois qu’elles sont remises en liberté, pour documenter aussi les effets que la rétention peut avoir sur les enfants. C’est très difficile. Si la famille est libérée, elle repart vers le lieu où elle était hébergée, vers sa communauté. Et puis elle ne veut pas forcément revenir sur l’expérience de l’enfermement qui est un choc. Quand la famille est renvoyée dans son pays d’origine, c’est encore plus compliqué de connaître les conséquences que l’enfermement a eu sur elle.
À quand la fin de l’enfermement des enfants ?
Il y a un groupe parlementaire qui travaille sur cette question. Mais la loi de finances prévoit déjà d’améliorer les conditions d’enfermement pour les familles. Nous espérons que les travaux de ce groupe parlementaire mènent à une réflexion constructive qui permettra de mettre fin à l’enfermement des enfants.