« J’ai été traitée comme une criminelle alors que je n’avais rien fait ! », me raconte une toute jeune patiente que j’ai reçue au centre Primo Levi. Elle m’avait été orientée par un collègue psychologue pour l’accompagner dans sa demande d’asile. Arrivée par l’aéroport de Roissy-Charles De Gaulle, considérée comme majeure sans que soit pris en compte ni sa parole ni son acte de naissance, elle est placée en zone d’attente, conduite plusieurs fois à l’avion, menottée, puis placée en centre de rétention. Heureusement, elle finit par être libérée par le juge des libertés et de la détention (JLD). Toujours considérée comme majeure, elle se retrouve à la rue. Grâce à la Croix-Rouge, elle saisit le juge des enfants. Ce n’est que plusieurs mois après son arrivée en France qu’elle est enfin prise en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance, après avoir été finalement considérée mineure. Cela a été également le cas d’un jeune patient, tout juste âgé de 17 ans, qui dormait dans une église quand sa prise en charge médico-psychologique a débuté au Centre Primo Levi. Très vite, il est orienté vers une collègue assistante sociale, car tout est à faire : trouver un logement, le scolariser, obtenir des aides financières et alimentaires. Rapidement, je l’accompagne dans sa demande d’asile. En entretien, il me raconte qu’à son arrivée en France, des personnes l’ont orienté vers la police pour être pris en charge, mais qu’il a été très mal reçu car son passeport d’emprunt lui donnait un âge bien plus avancé. Alors qu’il était manifestement mineur, les policiers l’ont traité de menteur, ont tenu des propos racistes à son égard et il a été placé en cellule. Il a été particulièrement blessé par cet événement qu’il me confie en pleurs. Par la suite, le juge des enfants ne reconnaît pas non plus sa minorité, sans faire procéder à une expertise osseuse, que ce jeune avait paradoxalement demandée pour prouver sa bonne foi.
Nombreux sont les mineurs exclus de la Protection de l’enfance qui se retrouvent ainsi à la rue ! Ils sont doublement « mineurs non accompagnés » : livrés à eux-mêmes ici comme sur le parcours d’exil, alors qu’ils sont encore très jeunes et extrêmement vulnérables.
Pourquoi le doute ne profite-t-il pas à ces jeunes ? Pourquoi leur parole n’est-elle pas prise en compte ? Le Comede (Comité pour la santé des exilé.e.s) et Médecins sans frontières[1]dressent un tableau alarmant de cette politique de non-accueil : « Ni mineurs ni majeurs, ils ne peuvent pas accéder à une mise à l’abri dans un foyer de Protection de l’enfance, ni aux dispositifs d’hébergement
dédiés aux majeurs… les MNA en recours sont également méconnus des services de soins français, souvent démunis pour prendre en charge ces jeunes précaires, au statut administratif complexe.»
Étonnamment, nos autorités préfèrent prendre le risque de les exclure. Certes, elles se basent sur une évaluation, sur des examens médicaux, mais que valent-ils ? Médecins, associations, éducateurs, dénoncent cette pratique trop subjective, peu fiable et dont les délais sont trop courts. Pourtant, l’expertise osseuse est encore largement utilisée ! Pourquoi ne sont-ils pas écoutés ? De plus, un jeune majeur ne reste-t-il pas vulnérable ? Contre combien de dérives ou d’abus ces jeunes doivent-ils se battre ? De nombreuses décisions de juges des enfants – saisis par les jeunes après avoir été exclus de l’Aide sociale à l’enfance – précisent que la seule inscription du requérant dans le ficher VISABIO[2] ne dispense ni l’Aide sociale à l’enfance ni le juge des enfants d’évaluer sa minorité. Selon une décision du Conseil constitutionnel du 26 juillet 2019, « la majorité d’un individu ne saurait être déduite ni de son refus opposé au recueil de ses empreintes ni de la seule constatation par une autorité chargée d’évaluer son âge qu’il est déjà enregistré dans le ficher en cause ou dans un autre fichier alimenté par les données de celui-ci ».
Seule explication possible pour comprendre cette situation : c’est un enjeu économique et politique ! Selon l’article L 112-3 du Code de l’action sociale et des familles, la Protection de l’enfance incombe aux conseils départementaux. Certains d’entre eux résistent à prendre en charge ces mineurs étrangers car, selon eux, cela représente un coût financier trop lourd. La circulaire du 31 mai 2013 du Ministère de la Justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers, puis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ont mis en place un système de clé de répartition entre les départements selon des critères démographiques et d’éloignement géographique (actualisés tous les ans), pour répartir « cette charge » sur le territoire national et contraindre ainsi les départements les plus récalcitrants à accueillir des MNA. Depuis 2013, est donc instauré un dispositif de mise à l’abri de cinq jours, phase financée par l’État, permettant au département d’évaluer la minorité du jeune. Un délai bien court pour ces jeunes déjà très fragiles et qui doivent répondre à de nombreuses questions. Dans la pratique, cette période est toutefois bien plus longue. La peur, la honte, les traumatismes, peuvent empêcher de dire. Certains peuvent paraître matures pour leur âge parce qu’ils ont dû se débrouiller seuls avant d’arriver en France. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont besoin de protection. S’il est reconnu mineur mais ne peut être accueilli par le département désigné, le juge des enfants ou le procureur de la République peuvent décider – en prenant en compte l’intérêt de l’enfant – de l’envoyer dans un autre département où il sera pris en charge jusqu’à sa majorité. Cependant, même dans ce cadre d’orientation nationale, nous assistons à des situations ahurissantes d’exclusion. En effet, certains départements procèdent à une réévaluation de la minorité du jeune concluant alors à un âge supérieur à 18 ans. La prise en charge du jeune s’arrête immédiatement, allant ainsi contre la décision du juge qui l’avait orienté et considéré mineur. Le jeune se retrouve à la rue et doit saisir à nouveau la justice.
À mon sens, un glissement de la politique du soupçon à l’égard des demandeurs d’asile s’est opéré ces dernières années vers les mineurs étrangers isolés. Cette méfiance semble corrélée à l’augmentation du nombre de MNA, au système de répartition entre les départements et, bien entendu, à la politique migratoire de l’État. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur du décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, le préfet est territorialement compétent pour évaluer la minorité si le président du conseil départemental le sollicite expressément. Cela a eu pour effet de nombreuses dérives. Les départements sollicitent le préfet pour consulter les fichiers AGDREF[3] et VISABIO et pour vérifier l’authenticité des actes d’état civil : une nouvelle manière, pour eux, de filtrer, de sélectionner davantage ces jeunes et de limiter ainsi leur accueil !
Selon l’arrêté du 20 novembre 2019 relatif à l’évaluation de la minorité et de l’isolement des personnes se présentant comme MNA, l’évaluation de la minorité et de l’isolement repose sur un faisceau d’indices qui inclut les informations données par le préfet « permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne », « une évaluation sociale reposant sur des entretiens » et « les examens complémentaires prévus à l’article 388 du Code civil » (article permettant le recours aux examens radiologiques osseux où le doute profite rarement au jeune).
Le système semble devenir encore plus pernicieux avec un autre décret, celui du 23 juin 2020) qui réforme« les modalités de la contribution forfaitaire de l’État à la mise à l’abri et à l’évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille ». Celui-ci instaure la conclusion d’une convention entre le département et l’État pour fixer les modalités de l’aide de l’État durant la période d’évaluation, et ceci sous condition du recours à l’assistance du préfet, notamment pour la mise en œuvre du traitement de données durant la phase d’évaluation. Ainsi, faute d’une telle convention, l’aide de l’État pourra être réduite.
Ce traitement des données a été rendu possible par la loi du 10 septembre 2018 qui crée « un traitement automatisé de collecte d’empreintes digitales et photographies de personnes se déclarant mineures isolées ». Et c’est clairement écrit dans la loi, sans aucune ambiguïté, que ce traitement est institué « pour mieux garantir la protection de l’enfance et lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France ». Les deux volets politiques sont mis au même niveau ! Le défenseur des droits a d’ailleurs considéré que « la procédure mise en place par ce décret du 30 janvier 2019 ne relevait plus d’une évaluation de vulnérabilités dont la minorité et l’isolement font partie, mais d’une identification et d’un contrôle d’identité réalisés en dehors du cadre protecteur et des garanties de l’article 78-3 du Code de procédure pénale ».
Quand cette politique de suspicion cessera-t-elle ? Comment faire pour que ces mineurs ou jeunes majeurs ne soient plus humiliés ou traités comme des objets sous prétexte qu’ils coûtent trop chers !?
Aurélia Malhou, juriste.
[1]Rapport sur la santé mentale des mineurs non accompagnés. Effets des ruptures, de la violence et de l’exclusion, novembre 2021.
[2] Fiche qui permet le relevé d’empreintes des MNA en vue de la comparaison de ces dernières aux autres fichiers lors de la première étape de l’évaluation de minorité et d’isolement.
[3] Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France.