Sensibiliser l’opinion publique sur les violences sexuelles en conflit armé, tel est le pari de ZERO IMPUNITY pour que la parole des survivants soit entendue.
L’impunité existe parce que la communauté refuse presque toujours d’en parler. Tabou et omerta deviennent alors des freins à la justice. Or ce besoin de justice a diverses fonctions. La première est d’ordre économique puisqu’elle apporte souvent une réparation d’ordre pécuniaire. C’est ce qui permettra aux survivant.e.s d’obtenir un accès aux soins et une réintégration économico-sociale. Mais avant tout, la justice permet d’acter les interdits d’une société qui ont pour fonction de structurer cette même société. Elle définit les limites et permet aux survivant.e.s de poser un cadre juridique et social à leur histoire. L’impunité prive donc la société de cette structuration morale et empêche l’individu de se reconstruire en « invisibilisant » plus largement les traumatismes d’une communauté entière.
L’enjeu est donc collectif et induit une réponse collective : comment demander que justice vous soit rendue alors que vous êtes vous-même rejeté.e au sein de votre famille, de votre communauté ? Dans un contexte de guerre ou de post-conflit, où iriez-vous déposer plainte ?
L’impunité est donc totalement liée aux conditions de la libération de la parole.
En imaginant Zero Impunity, nous avons souhaité créer un outil médiatique qui participe justement à questionner et agir sur les conditions de cette libération de la parole. Notre objectif est précisément d’interroger notre responsabilité collective et donc la réponse collective que nous pouvons apporter ; faire résonner les paroles des victimes et des lanceurs d’alertes dans l’espace public mais aussi éveiller l’audience en lui donnant conscience de sa capacité à changer les choses grâce à l’écoute agissante.
La question fondamentale que nous posons consiste à comprendre comment en tant qu’individu, mais également en tant que collectivité, nous pouvons nous engager à agir concrètement sur la question des violences sexuelles en conflit armé. En matière de violences sexuelles, les faits bruts sont généralement insoutenables. Nous sommes en permanence sollicités par des informations qui se concurrencent et qui au final deviennent toutes parfaitement indigestes et bloquent notre capacité d’action. La parole, qui a eu tant de mal à se libérer, devient alors inaudible pour la majorité des personnes. Notre première réaction est alors de baisser les bras face aux enjeux diplomatiques internationaux et au réalisme d’Etat.
Et pourtant, en tant qu’individu ou que société, nous avons les moyens de créer les conditions de la libération de parole. À la maison, lorsque nous sommes de mauvaise humeur, très souvent nous participons à créer un climat désagréable dans lequel les membres de la famille s’abstiennent de parler. Que se passe-t-il lorsqu’au contraire vous êtes éveillé.e et que vous favorisez les échanges et la parole active ? Dans la société, c’est la même dynamique. Si nous montrons que nous sommes éveillé.es à une problématique, si nous le témoignons publiquement, nous entendrons alors de nouvelles voix se lever. Nous créerons un espace de confiance pour celles et ceux qui dénoncent ces crimes. C’est cela l’écoute agissante.
Nous avons donc travaillé sur une esthétique et une narration qui nous permettent de parler de ces violences sexuelles sans provoquer ni rejet, ni apathie. Nous avons fait le choix d’utiliser l’animation. Le dessin a su apporter une distance émotionnelle. Nous avons su générer ainsi une réelle empathie. Le spectateur s’est rapproché plus facilement des témoignages et a su dépasser la seule indignation. Nous avons aussi mis en scène une performance artistique dans laquelle nous avons projeté dans l’espace public, à très grande échelle sur des immeubles par exemple, et grâce à un projecteur vidéo, des visages de citoyens qui clamaient leur soutien aux victimes et les invitaient à libérer la parole. Cette performance est une démonstration de cette société qui se transforme et qui témoigne de sa capacité à entendre les paroles libérées. Première étape pour lutter contre l’impunité.
C’est ainsi de la responsabilité de celles et ceux qui cherchent à engager les gens dans leur combat que de leur proposer autre chose. Quelque chose qui entrera dans le paradigme de l’écoute agissante. Quelque chose qui cherchera à ancrer l’audience dans le réel et l’action. La parole est une étape. Sa libération en est une autre. Mais l’écho. Seul l’écho est éternel. Et l’écho, c’est ce citoyen qui aura décidé un jour de se lever, d’écouter, d’entendre et de relayer cette parole libérée. Et c’est ainsi que le changement aura lieu.
Nicolas Blies et Stéphane Hueber-Blies, réalisateurs