L’éveil de la puberté

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L’Eveil[1] de la puberté « Lorsque la puberté est éveillée, l’homme s’égare souvent dans ses premiers mouvements, sans que ces égarements n’entraînent un mal durable. » Sigmund Freud[2].

Les jeunes adolescents qui portent le stigmate de mineurs non accompagnés (MNA) ont dû s’éloigner d’où ils habitent pour prendre le chemin de l’exil, sans savoir qu’un autre exil intérieur les attendait. En effet, un double exil se produit à la puberté : les mots de l’enfance n’expliquent plus ces jouissances nouvelles du corps, et, d’autre part, l’exil du corps qui peut se mesurer à l’autre sexe devient une terra incognita. Parfois, cette « déterritorialisation » va se rejouer par l’absence de la langue et des codes du pays. Il arrive souvent que cet éveil à la sexualité soit évoqué en séance, le plus souvent accompagné d’un sentiment d’angoisse et d’étrangeté. C’est une surprise, alors qu’ils ou elles sont dans des modes de survie, de recherche de papiers et autres, une urgence [IB1] . Une question qu’ils ne peuvent pas évoquer se pose sur leur être sexué.

L’adolescent rend visible l’importance de la sexualité dans toutes les époques, c’est l’hypothèse que propose Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité[3]. Il existe un lien entre l’exil, l’ailleurs et l’adolescence. Historiquement, nous pouvons retrouver les figures du chevalier errant ou du vagabond dangereux. À présent, notre régime biopolitique[4] propose la figure des jeunes MNA et il est courant que, dans les descriptions desdits MNA, soit ignorées la tragédie qu’ils vivent : la fin de l’enfance, c’est-à-dire la chute de l’insouciance et de la légèreté. Nous constatons que, pour les enfants qui ont emprunté le chemin de l’exil, cette chute s’est produite très tôt, au point que le sentiment de l’enfance est parfois méconnu.

L’adolescence, c’est un moment de la vie, un moment de transition, de relâchement du nœud qui s’est tissé entre l’enfant et son être d’adulte. L’adolescence, c’est un entre-deux. C’est une des raisons pour lesquelles le temps s’accélère, au risque de n’être nulle part, ni avant dans le passé ni après dans le futur, mais dans « l’entre-deux ». Il se produit une urgence, une instabilité quant à son image d’homme ou de femme, l’urgence du choix s’impose parce qu’il y a un lâchage. Freud parle plutôt de « détachement[5] », de se détacher de l’autorité de ses parents. Mais quand il n’y a pas de parents ? Comment le vivre ? Ce que nous observons dans la clinique du Centre Primo Levi, c’est que les jeunes en situation d’exil cherchent à faire groupe, même si celui-ci est éphémère, pour ensuite jouer ce détachement. Ce facteur est important à prendre en compte dans l’accompagnement, parce que la temporalité des prises en charge de la protection de l’enfance, de plus en plus courtes, ne permet pas de jouer ce détachement. Au contraire, ils revivent en permanence des ruptures et séparations dont ils ne sont pas acteurs, mais plutôt victimes.

Les modifications que subit le corps d’un adolescent sont proches de l’inquiétante étrangeté, de la métamorphose. L’insouciance de l’enfance s’efface pour laisser place à des sensations nouvelles. Mais le mouvement chez les adolescents ne se tourne pas vers la découverte de la sexualité. Au contraire, c’est plutôt une tentative de gommage de l’éveil. Freud parle d’un droit à « s’attarder », c’est-à-dire à prendre le temps de « l’inexorabilité de la vie ». C’est un moment clef où il faut laisser s’épanouir la singularité tout en gardant la question du groupe. Moment de passage, de prise de risque dans lequel le sujet va réactualiser le choix de l’enfance, un choix homosexuel ou hétérosexuel quant à la sexuation. Un besoin d’agir se déclenche souvent. Il n’est pas surprenant qu’une grande majorité des jeunes qui n’ont pas bénéficié d’une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance et qui se retrouvent dans des situations d’errance cherchent un groupe d’appartenance. Nous retrouvons alors deux extrêmes dans les transferts sur les institutions qui tentent de les protéger : soit un repli sur soi, à partir de pratiques de consommation de drogue, une façon d’éviter la demande et de se procurer du plaisir tout de suite, soit un attachement massif et fort aux personnes qui les accompagnent. Restons donc éveillés à ce « drame interne » que vivent ces adolescents en exil dans ce moment de leur vie ; ce moment que Victor Hugo considère comme une des plus délicates transitions[6] de l’existence.

Armando Cote, psychologue clinicien


[1] Wedekind Frank, L’Éveil du printemps. Tragédie enfantine, Paris, Gallimard, 1974.

[2] Freud, Sigmund, Trois Essais sur la sexualité, Paris, Gallimard, 1974, p. 140.

[3] Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, t. 1, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.

[4] Foucault, Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, EHESS-Gallimard-Le Seuil, 2004.

[5] Freud, Sigmund, « Sur la psychologie du lycéen », in Résultats, Idées Problèmes, t. 1, Paris, PUF, 1984.

[6] Hugo, Victor, Les Travailleurs de la mer, Paris, Gallimard, 1980.


 [IB1]Faut-il comprendre : « C’est une surprise, alors que…, une urgence » Où urgence qualifie le mode d’apparition de l’évocation en séance OU : « … alors qu’ils ou elles sont dans des modes de survie…, [dans l’]urgence » Ou l’urgence qualifie la nécessité de survie