Entretien avec Sylvain Baratte, conseiller en insertion sociale et professionnelle (CISP) pour la Fondation Apprentis d’Auteuil.
Lorsque les jeunes sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, ils peuvent bénéficier d’une scolarité et d’une insertion professionnelle. Pouvez-vous décrire votre dispositif d’accompagnement ?
Sylvain Baratte : Notre dispositif a ouvert depuis près de 4 ans en réponse à un appel à projet du conseil départemental 95. La motivation sous-jacente était de sortir les mineurs non accompagnés (MNA) de l’hôtel.
Selon moi, cette solution d’hébergement est un paradoxe de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Seuls les MNA se retrouvent sans présence d’adulte au quotidien à 16 ans dans des appartements. Donc, à l’origine, ce dispositif était fait pour désengorger les hôtels du Val d’Oise occupé à l’époque par près de 700 jeunes. La commande sociale des appels à projet était de permettre à ces jeunes de sortir du dispositif dès 18 ans, ce qui suppose qu’ils aient un revenu ou au minimum, un apprentissage. Sachant que nous accueillons des jeunes qui ont entre 16 ans et demi et 18 ans principalement, il peut arriver que la prise en charge soit de plus ou moins 10 mois, ce qui est très court. D’autant que les profils sont assez différents les uns des autres. L’accompagnement n’est pas le même entre un jeune qui a été scolarisé dans son pays d’origine, qui est francophone, qui sait lire et écrire et qui a un niveau approximativement de 3ème voire au-delà, et un autre qui vient d’un territoire reculé, qui n’a jamais été à l’école et qui ne sait ni lire, ni écrire. C’est là tout l’enjeu de l’insertion professionnelle avec ces jeunes. Il est demandé d’accompagner ces adolescents vers l’obtention d’un contrat dans le même laps de temps alors qu’ils n’en sont pas du tout au même point. Avec la pandémie de la Covid-19, les règles se sont assouplies. Les sorties dites « sèches » – dès 18 ans et non préparées – sont suspendues et nous avons réussi à ce que tous les jeunes qui sortent du dispositif aient accès à une formation rémunérée.
Une autre difficulté tient au discours des jeunes. Je n’ai pas à juger de leur minorité, ce n’est pas mon travail. Par contre, je tiens à ce que leurs études soient adaptées à leur niveau. J’ai souvent à leur rappeler que je suis là pour qu’ils puissent aller au maximum de ce qu’ils peuvent faire. Donc, s’ils ont un niveau bac pro, je vais les mettre en bac pro et pas en CAP !
Ont-ils envie d’aller à l’école ?
SB : Ils sont dans l’envie de travailler, ce qui peut les amener à accepter ce qui se présente à partir du moment où cela leur permet d’accéder à un emploi. Et là, le discours de la communauté – aussi bien celle du pays, culturelle ou celle des MNA (car ils se retrouvent dans les mêmes lieux d’hébergement) – joue un rôle important. C’est un peu compliqué de les faire sortir de ces représentations. Par exemple, il y a 1 an et demi – deux ans, tous les jeunes voulaient être boulangers. Parce que l’idée circulait que c’était facile de trouver un employeur. Mais personne ne leur avait dit qu’un boulanger se lève à 2/3 heures du matin et qu’une des difficultés, dans des métiers comme la boulangerie ou la restauration, ce sont les horaires décalés. En tant que mineurs, ils vont être protégés par le code du travail. Un apprenti ne va pas se lever si tôt, mais aux alentours de 6h. Cependant, une fois qu’ils seront diplômés, le patron va leur demander de commencer à 3 heures du matin ou de terminer leur journée une fois le travail fini et non pas à une heure précise. Une partie de mon accompagnement, c’est de les mettre face à la réalité du métier. Une fois, un jeune de 3ème voulait travailler dans le bâtiment. Il n’avait jamais été scolarisé et ne savait ni lire, ni écrire. Comme il avait la possibilité de faire des stages et qu’il avait beaucoup travaillé dans les champs au pays, je lui ai proposé d’essayer l’horticulture, les travaux paysagers. En d’autres mots, pour partir de ses savoirs. Le stage se passe admirablement bien et il me dit « Oublie ce que je t’ai dit, c’est ça que je veux faire ». Il rentre dans cette formation qui, elle aussi, se passe très bien. Le patron est content de son travail et serait prêt à l’embaucher. Et puis, la communauté qui l’entourait a continué de lui dire de travailler dans le bâtiment, l’amenant à changer d’orientation une fois son diplôme obtenu. J’ai dû remettre son avenir en perspective : dans l’horticulture, il est une personne qualifiée ; dans le bâtiment, il sera main d’œuvre. Comment cela se passera-t-il pour lui dans 10 ans ? Mon travail, c’est aussi leur faire prendre conscience de cette réalité.
Comment cela se passe-t-il pour ceux qui ont un délai très court pour se professionnaliser alors qu’ils ne savent pas parler français, ni lire, ni écrire ?
SB : Certains métiers ne requièrent pas d’acquérir un haut niveau de français. De plus, j’ai des partenaires qui sont souples. Si je remarque un jeune avec de grosses difficultés, je vais essayer de trouver un patron parlant sa langue maternelle afin qu’il puisse s’adresser à lui. Sinon, je vais m’assurer que l’entreprise compte au moins un salarié compatriote qui puisse traduire les consignes dans le cas où elles ne seraient pas comprises. Depuis peu, nous travaillons avec une entreprise adaptée. Un des jeunes bénéficiait d’une reconnaissance de handicap par la Maison départementale pour les personnes handicapées. Il n’avait jamais été scolarisé, ne parlait pas français et avait ce handicap, qui touche la sphère du langage. Grâce à un important travail de partenariat avec l’école et avec les entreprises, l’ASE nous a soutenu dans notre démarche d’accompagnement en nous donnant du temps. Aujourd’hui, il est en contrat. Une fois la consigne comprise, il est très autonome.
Comment se construisent vos partenariats ?
SB : L’avantage des Apprentis d’Auteuil, c’est que nous avons à disposition des structures d’enseignement, ce qui permet d’orienter les jeunes vers une école de la fondation avec laquelle je suis très en lien. Je construis aussi tout un réseau avec les employeurs pour trouver des lieux de stage. Une fois que ça se passe bien, ce sont des liens qui se consolident. Avoir un travail de partenariat est nécessaire, car nous sommes dans des temps courts qui ne nous permettent pas toujours de terminer le travail. Par exemple, l’ensemble les jeunes que j’accompagne sont inscrits à la mission locale. Et tous les 15 jours depuis 4 ans, je fais le point avec une conseillère en accompagnement local attitrée sur les différentes situations, concernant aussi bien les jeunes actuellement accompagnés que les anciens. En effet, même s’ils ne sont plus dans le dispositif, je me tiens à la disposition du service qui a pris le relais (mission locale, service des anciens de la Fondation d’Auteuil). Avec une association qui travaille sur la mobilité, nous voyons comment des jeunes proches de la sortie peuvent passer le permis car leurs horaires ne permettent pas toujours d’utiliser les transports en commun. Mon travail, c’est d’anticiper leurs futurs besoins en m’appuyant sur les relations de partenariat pour y répondre. C’est important de bien mailler son territoire pour que les divers interlocuteurs restent en lien.
Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef