Enlevés brutalement à leur pays, leur école, à ce qui leur était familier, ils ont vu leurs parents perdre pied en exil, pris dans l’angoisse d’une procédure d’asile incertaine. « L’hébergement au Cada va me délivrer d’un poids, m’apporter une bouffée d’oxygène » dit Haris dès lors qu’il comprend que l’équipe sociale du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) prend le relais auprès de ses parents.
Ces enfants ont maintenant 20 ans ou 25 ans, ils ont fait leurs études en France, ils travaillent, ont des projets d’avenir. Ils ont l’air heureux quand ils évoquent une partie de leur enfance passée au Cada. Ils se souviennent, certains avec nostalgie, d’une enfance retrouvée après l’expérience de la solitude en arrivant en France. Ils se rappellent des copains avec qui ils partageaient tout et tout le temps : des fêtes d’anniversaire, des ateliers théâtre avec Ivan, de la chorale avec Sylvie, des sorties à Paris où « dans le car, on chantait du Johnny Halliday », des vacances la mer… Les souvenirs remontent, témoignages de moments où ils étaient redevenus insouciants, des enfants comme les autres.
Selon eux, ils ont pu reprendre une place d’enfant parce qu’ils n’avaient plus à se soucier de leurs parents que le CADA allait accompagner et suivre dans leur procédure d’asile. Le rôle d’enfant-parent n’avait plus à être endossé.
En équipe, nous avons fait des choix d’organisation de travail et de méthodes d’accompagnement de proximité qui permettent de prendre en compte la dimension familiale et humaine.
Notre cadre de travail est souple, l’équipe est pluridisciplinaire, engagée et partage les mêmes préoccupations concernant les besoins des familles. Le CADA bénéficie donc d’un climat tempéré où l’accueil, la disponibilité, l’écoute ont toujours été des principes d’évidence ; au départ, pourtant, rien n’avait été formalisé en ce sens. Nous étions tous portés par ce même élan et cela se transmet aux nouveaux venus de manière informelle. L’équipe fait un pari sur la vie, sur l’espoir et prend en compte la singularité de chaque personne, de chaque famille.
S’il n’y a pas de rendez-vous de travail en cours, les portes des bureaux restent ouvertes, des rencontres informelles peuvent se faire dans les couloirs, dans le jardin ou dans les logements des résidents. Chaque membre de l’équipe s’autorise à participer à un atelier d’animation, avec la volonté de ne pas se laisser enfermer dans un rôle d’aidant administratif, pour créer une relation où l’on a plaisir à rencontrer l’autre, à échanger avec lui. La confiance peut alors s’installer entre les résidents et l’équipe, le quotidien peut devenir plaisir et le travail sur la demande d’asile est facilité. Nous nous autorisons à accueillir et à partager leurs émotions.
Cependant, l’équipe, consciente des souffrances des personnes en demande d’asile, s’interroge : Comment protéger les enfants des effets délétères de l’exil forcé ? Comment soutenir les parents pour qu’ils puissent réinvestir leur fonction parentale ?
A défaut de réponse adaptée des structures de soins en santé mentale, l’équipe invente et met en place un espace d’accueil des enfants le mercredi avec deux adultes formés à l’observation attentive des bébés, en capacité d’accueillir les angoisses, les colères ou les tristesses des enfants ; des figures parentales « disponibles et attentives » pour jouer et répondre aux sollicitations des enfants. Un espace où peuvent se développer « des parties saines d’eux-mêmes, des parties non traumatisées » disait Vijé Franchi psychothérapeute qui a accompagné l’équipe dans la création de cet espace. L’enfant va vivre l’expérience d’être regardé, considéré et l’adulte, par l’attention qu’il développe, lui signifie : « Tu es important pour moi, tu comptes pour moi. ».
Un de nos objectifs est de soutenir la fonction parentale car, comme le soulignait une psychothérapeute qui supervisait nos séances de réflexion, « Les parents sont les vrais thérapeutes de leurs enfants, moi, je ne suis le thérapeute de leurs enfants qu’une demi-heure chaque semaine ». Nous avons donc mis en place un Café des parents, animé par un travailleur social du CADA et une psychologue, pour que chacun puisse partager ses préoccupations, se poser, déposer, se reposer. A partir de là, un espace de réflexion supervisé s’ouvre aussi pour l’équipe.
Comme nous le vivons tous les jours, accueillir ne revêt pas qu’une dimension matérielle. Cela passe aussi par une implication professionnelle où l’empathie et l’émotion ont leur place. Pour que ces sentiments, indispensables à un accompagnement réellement « humain », existent, il faut que l’équipe en prenne le risque. Et pour cela, il est nécessaire qu’elle les « pense » afin de trouver la « juste » proximité, essentielle à tout travail social.
L’équipe du CADA de Brou-sur-Chantereine