Entretien entre Virginie Robineau, avocate à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et Aurélia Malhou, juriste, sur l’importance du professionnalisme des interprètes.
Est-il possible de choisir son interprète lors d’une audience à la CNDA ?
Virginie Robineau : Généralement, ce sont les mêmes équipes d’interprètes qui assurent l’interprétariat à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et à la CNDA. Ce qui fait que, si cela ne s’est pas très bien passé à l’OFPRA pour nos requérants, ils peuvent se retrouver dans une angoisse de retomber sur le même interprète à la Cour.
Je tiens à préciser que, dans la majorité des cas, le recours à un interprète se passe bien. Cependant, dans les retranscriptions OFPRA, il est possible de retrouver un langage un peu familier, par exemple, alors que notre requérant ne parle pas du tout de cette manière. Pour certaines affaires, j’ai pu me rendre compte que l’interprète n’a pas tout traduit, qu’il a fait des raccourcis. Alors que mon rôle en tant qu’avocate, c’est que la personne puisse être entendue dans les meilleures conditions, et, personnellement, j’aime quand elle peut parler autant qu’elle le souhaite. Le choix des mots revient bien sûr à l’interprète, mais cela ne peut pas pénaliser le fond.
Il est arrivé, dans de rares cas fort heureusement, que l’interprète ne soit pas impartial parce qu’il provient du même pays mais du camp opposé, avec des intérêts passés contraires à ceux de la personne dont il doit traduire les propos. Dans ce cas particulier, la Cour doit être alertée.
Aurélia Malhou : Ce type d’incident est également arrivé au Centre Primo Levi. Cela soulève surtout une question importante, qui est celle du lien de confiance qui doit exister entre l’interprète et celui dont il traduit les paroles.
VR : D’où l’importance de pouvoir signaler ce qui n’a pas bien fonctionné, y compris à l’OFPRA. Par exemple, si un requérant me dit que l’interprète lui demande de faire des réponses courtes ou ne le laisse pas terminer ses propos, c’est important de le signaler dans le recours, en expliquant qu’il n’a pas pu s’exprimer de façon tout à fait complète et qu’il n’a pas pu terminer son raisonnement. À l’inverse, toutes les difficultés rencontrées ne peuvent pas être liées à l’interprétariat. Les audios de l’OFPRA permettent de le vérifier.
D’une manière générale, je préfère quand les requérants ont la possibilité de s’exprimer en français, s’ils sont à l’aise. Avec la temporalité de la demande d’asile, ils maîtrisent beaucoup mieux le français une fois arrivés au stade CNDA. À partir de là, plusieurs cas de figure se présentent. De plus en plus de présidents apprécient, malgré la présence de l’interprète de droit sollicitée au début de la procédure, que le requérant ne fasse appel à lui qu’en cas de besoin. Il suffit alors de le dire au Président au début de l’audience tout en précisant que l’appel à l’interprète sera en cas de difficultés de compréhension ou d’expression. En général, c’est accepté. Les présidents y sont même plutôt favorables, car cela montre aussi que le requérant fait des efforts pour apprendre la langue, pour s’intégrer, etc. Mais il ne faut pas qu’il se mette dans une posture où il serait mal à l’aise.
AM : C’est plus facile de passer d’une langue à l’autre à la CNDA, en effet. Ce qui est bienvenu car le stress de l’audience joue sur ses capacités à s’exprimer en français. A l’OFPRA, cela semble plus strict. S’il y a un interprète, la personne est quasi obligée de s’exprimer dans sa langue maternelle.
VR : Depuis la réforme, malheureusement, l’interprète est demandé au début de la demande d’asile et il n’est plus possible a priori d’en changer quand arrive l’audience. Donc, a contrario, un demandeur d’asile qui souhaite s’exprimer dès le début en français pour démontrer son apprentissage, peut se retrouver dans une situation délicate s’il n’est pas en mesure de bien comprendre les questions ou de s’exprimer. Parfois, cela se remarque lors des entretiens à OFPRA car la personne a dû faire répéter plusieurs fois l’officier ou répond complètement à côté de la question posée. Dans ce cas, si c’est avant le recours, nous avons la chance de bénéficier d’une tolérance et de motiver la demande d’un interprète pour la CNDA. En général, c’est accepté parce que les présidents savent très bien que la langue est importante mais il vaut mieux demander dès le début de la procédure un interprète. Il peut arriver aussi, c’est le cas pour les Géorgiens qui parlent russe ou les Kurdes qui parlent turc, qu’un requérant souhaite s’exprimer dans une langue au début, puis dans une autre par la suite.
Un jour, j’ai eu un requérant kurde qui tenait absolument à s’exprimer en turc alors qu’il parlait bien le kurde. Lors du recours, je lui demande s’il ne souhaite pas s’exprimer en kurde, vu qu’il prône cette langue et qu’il est activiste kurde. Il a accepté et a obtenu le statut de réfugié !
AM : Ce qui amène une cohérence personnelle pour son dossier.
Quelle difficulté majeure sans présence d’interprète ?
VR : En réalité, ce sont les dossiers où il n’y a pas d’accompagnement par une structure, ni de budget d’interprétariat, et où cela requiert d’échanger avec des connaissances du requérant pour pouvoir communiquer. Je préfère encore travailler seule, mais directement avec la personne. Au moins, je peux questionner des expressions du visage, son regard, etc. Sinon, le requérant va se référer à son entourage, et, en général, cela n’aide pas car il n’est pas toujours de bon conseil. Et puis comment aborder des éléments très intimes ?
AM : Oui, d’autant que tu ne peux pas échanger avec l’interprète juste avant l’audience pour accéder à une parole du demandeur d’asile.
VR : Ce n’est pas possible en effet. L’interprète est uniquement présent au moment de l’audience, et ceci pour qu’il n’ait aucun regard sur le dossier. Il doit être impartial. Et cette neutralité, c’est aussi ne pas trop montrer d’expressions faciales lors de l’audience. Je ne suis pas sûre que présenter des incidents d’audience soient en faveur du requérant, mais il est possible, avec diplomatie, de faire des notes en délibéré s’il est estimé que l’interprète n’a pas été objectif.
Il n’existe aucun dispositif d’aide financière pour un rendez-vous avec son avocat ?
VR : Cela fait des années que nous demandons, en tant qu’avocat, lorsque nous sommes désignés à l’aide juridictionnelle, de bénéficier de l’aide d’un interprète, à la fois pour l’écrit et pour l’oral. Notre difficulté concerne les personnes qui sont sans interface, sans structure d’accueil, sans rien, livrées à elles-mêmes, parfois à la rue. Comment faire pour se comprendre ? Comment accéder au récit ? Au niveau juridique, dans une procédure écrite, il n’est pas possible de livrer des informations dont nous ne sommes pas sûrs. Sinon, je précise que cela a été réalisé avec un interprète bénévole, mon requérant n’ayant pas été en mesure de relire et de corriger son écrit, donc qu’il est possible qu’il y ait des erreurs. Je le précise pour que cela ne se retourne pas contre lui.
Donc, seules les personnes en structure d’accueil peuvent avoir accès à un interprète pour leur procédure d’asile ?
VR : En dehors de certaines associations qui peuvent utilement nous aider, tout dépend de la gestion du budget interprétariat dans les structures d’accueil (comme les centres d’accueil pour demandeur d’asile par exemple). Certaines organisations vont avoir un budget interprétariat par famille et vont pouvoir compenser les budgets car certaines familles vont s’exprimer en français, et libérer ainsi des fonds pour celles qui sont non francophones. D’autres structures sont prises dans une restriction financière globale de plus en plus évidente. Ce qui fait donc peser la responsabilité sur les épaules du requérant, alors qu’il a peu de revenus et que la traduction, notamment de ces documents d’ordre judiciaire, coûte très cher car il faut faire appel à un interprète assermenté.
Il arrive également que le budget interprétariat ait été déjà bien entamé dès le début de la procédure pour traduire des documents d’état civil, ce qui fait qu’il n’y a quasiment plus de budget au moment du recours. Lorsque l’on a la chance, en tant qu’avocat, que les requérants aient pu rassembler des éléments de preuve écrits, c’est difficile de ne pas pouvoir les utiliser en les faisant traduire. Et cela soulève aussi la question de savoir quel document traduire en priorité, car pour cela, il faut pouvoir comprendre ce qu’ils contiennent.
AM : Surtout que la carte d’aide pour les demandeurs d’asile (ADA) ne permet pas de retirer de l’argent pour réaliser des traductions.
VR : Exactement. Donc, si c’est possible, il vaut mieux traduire en priorité les documents judiciaires ou médicaux que des témoignages par exemple ou des documents qui font double emploi.
Est-ce que l’interprète doit nécessairement avoir des connaissances géopolitiques ou géographiques du pays d’origine ?
VR : En tout cas géographiques. Pour certains dossiers, la provenance du requérant est évidemment très importante. Donc, en effet, c’est mieux si l’interprète connaît le nom des villes et est capable de les retranscrire parce que la formation de jugement va s’appuyer sur des cartes et essayer de retrouver des noms. Si l’interprète ne traduit pas bien le nom de la ville ou du village, là, nous sommes devant un écueil car ce ne sera pas retrouvé sur la carte. Mais, en même temps, comment connaître tous les noms de villages d’un pays ?
Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef