Les enfants entendent, voient des images d’actualité de parcours d’exil qui heurtent, parfois insidieusement, leurs émotions. L’ouverture d’une classe de primo-arrivants au sein de l’école primaire a fait écho à ces points de l’actualité et questionné beaucoup d’élèves.
En tant qu’animatrice lecture, j’ai voulu leur permettre de chercher, de s’interroger, d’échanger, de partager, pour qu’ils trouvent des réponses.
Ce projet s’est construit pas à pas, sur un temps long. C’est ce temps long qui est important car il laisse la possibilité aux enfants de s’approprier le projet.
Pour cela, j’ai organisé l’espace de ma bibliothèque-centre de documentation en plusieurs ateliers.
Les enfants, âgés de 6 à 10 ans, qu’ils soient exilés ou non, y participent selon leur envie, en groupes ou individuellement pendant les temps périscolaires. Au fil des ateliers, les enfants se connaissent mieux. Ils travaillent volontairement à plusieurs et peuvent ainsi partager leurs compétences.
Dans un premier temps, j’ai sélectionné un grand nombre de documents traitant de la migration et de l’exil qui j’ai mis ensuite à disposition des enfants :
– albums jeunesse, romans
– livres documentaires
– extraits de reportage
– chansons, poésies
– affiches d’œuvres d’artistes
– articles et photos de presses
– résumés de pièces de théâtre
– exposition « Frontière » (Musée de l’Homme et de l’Immigration)
– autres…
Grâce à la découverte de ces divers supports de réflexion, des productions artistiques ont pu émerger. Progressivement, les enfants se sont imprégnés de la vie des migrants, de leurs paroles, de leurs poésies, leurs histoires. De productions en productions, les idées se faisaient de plus en plus prolifiques, et la stimulation des enfants s’est accrue.
Dans cette ambiance créative, les enfants migrants s’autorisaient à s’exprimer et à partager leur histoire.
Par exemple, Mahamad, collant sur une fresque en création l’image d’une famille marchant dans la montagne, rapporte :
- « Tu vois là, c’est ma mère, mon frère et moi. Mon papa, il me manquait trop, il était parti en Turquie pour soigner ma sœur, après on l’a rejoint. On a beaucoup marché et dormi sur des feuilles d’arbres pour faire comme un matelas. Mais il faisait froid, j’avais peur, mais j’y suis arrivé !
Mais aussi Malak, qui, à l’élaboration de la case « hôtel » du Jeu de l’oie des migrants répondait :
- « Non, à l’hôtel on ne se repose pas… On attend ! »
Tous ces ateliers ont permis aux enfants de mieux se connaître, de gagner en assurance, d’améliorer leurs compétences et leur créativité pour transmettre et partager.
C’est le désir de mettre en valeur leurs paroles, ainsi que l’énorme travail artistique effectué, qui m’a amené à chercher un lieu hors des murs de l’école pour exposer. Je remercie le Centre Paris Lecture, et particulièrement Catherine Guyozot, qui nous a permis d’exposer les œuvres des enfants. Cette exposition était ouverte aux parents, amis, enseignants et autres. Les enfants ont été très fiers de présenter leur travail. Ils ont pu, grâce à la mise en place de l’exposition, apercevoir en totalité leurs œuvres sur les murs du hall. Les parents des enfants migrants ont pu échanger avec les autres parents, les enfants ont été félicités pour ce travail pertinent. Ce fut un moment intense et chaleureux.
Regards d’enfants sur l’exil a été exposé au Centre Paris Lecture en juin 2023.
Dans une volonté de poursuivre la transmission, voici les œuvres qui ont été réalisées :
Photos prolongées
Prolongation d’une partie de photographie de presse de migrants au dessin. Ce travail permet aux enfants d’imaginer la continuité d’un morceau de photographie. Que font-ils ? Où sont-ils ? Où vont-ils ?
Scrabble géant
Les mots sur l’exil découverts au fur à mesure des ateliersont été récoltés. Ils ont permis aux enfants d’acquérir un vocabulaire plus précis, des mots plus justes pour exprimer leurs émotions. L’idée de les croiser a demandé un travail minutieux et a permis d’accroître leur connaissance de la langue française.
Jeu de l’oie des migrants
Le Jeu de l’oie s’est construit très progressivement. Les enfants discutent, écoutent ceux qui ont vécu l’exil, lisent des textes pour trouver des idées qui viendront créer les cases qui pénalisent le joueur et celles qui l’avantagent. Cette œuvre a permis d’approfondir leur échange.
Fresque « Exil »
Cette fresque de plusieurs mètres s’est élaborée tout au long de l’année. Tout a commencé lorsqu’un enfant a lu sur une affiche : « Les frontières ne séparent pas deux mondes, il n’y a qu’un monde qu’elles déchirent. » Il a alors osé déchirer une carte de l’Institut géographique national (IGN). C’était parti ! Des morceaux de cartes se sont juxtaposés sur le fond de la fresque. Des collages de marcheurs préalablement dessinés, des phrases de migrants pris dans des livres calligraphiées dans les espaces laissées entre les collages, des baluchons, ont été suspendus, plus rien ne les retenait…
Fresque « Méditerranée »
Des peintures de bateaux ont été collées en relief sur une fresque grand format représentant la Méditerranée.
Voitures cathédrales
Des voitures cathédrales, d’après l’œuvre de Thomas Mailaender, ont été réalisées par les enfants. Elles ont été collées sur une toile teintée de pigments à l’éponge. Un campement de migrants (tentes en carton et tissus) entouré de ficelles représentant les barbelés sera de même collé sur la toile.
Train des migrants
Les photos prolongées au dessin ont été encadrées. Un enfant a judicieusement trouvé que cela formait un train. En voilà une bonne idée ! Nous avons collé les cadres sur du papier cartonné noir. Des tickets de métro ont formé des petits éventails pour relier les voitures du train. Pour les roues, une enfant a pensé aux bouées de sauvetage.
Le train est très long, on découvre sur les voitures le mot « partir » en plusieurs langues, des baluchons, des listes d’objets à ne pas oublier, une boussole, un couteau suisse…
Margot Bernard Heraibi, animatrice Lecture école Gerty Archimède