Au Kiosque, le mot « accueil » prend tout son sens. Plus qu’un lieu où l’on peut être accompagné juridiquement et socialement, c’est un espace où l’on est écouté et suivi selon le principe de « non abandon ».
L’exil est-il censé s’arrêter une fois en terre d’accueil ? Toutes les ruptures vécues depuis le départ cessent-elles une fois « arrivé » ? Tout professionnel accompagnant les personnes en demande ou déboutées du droit d’asile sait qu’il n’est pas possible de répondre par l’affirmative. L’organisation actuelle de l’accueil ne permet pas de poser ses valises. Seule l’obtention du titre de réfugié le pourrait. Alors que faire ? Comment créer de la continuité pour celles et ceux qui ne sont pas autorisés à s’établir ? C’est ce que tente de faire le Kiosque en proposant un « refuge » à ceux qui sont à la rue.
Cette structure d’Emmaüs et de France Terre d’Asile est l’illustration parfaite de ces petits ilots à préserver. Accueil de jour, il ne se présente pas de la manière traditionnelle d’un espace solidarité insertion. Pas de douches, pas de petits déjeuners, mais un accueil inconditionnel pour les personnes isolées, majeures, en errance et en demande d’asile ou en procédure « Dublin ». Si cette absence de prestations pourraient être perçue comme une difficulté supplémentaire, elle est au contraire utilisée pour inventer une autre manière d’accueillir. La réponse aux besoins primaires ainsi qu’aux demandes de soins est effectuée grâce à des partenariats extérieurs. Déplacer hors des locaux ces urgences vitales permet à l’équipe de se concentrer sur la situation des personnes de manière plus globale. Si le cœur de l’accompagnement se situe au niveau juridique et social, il ne se réduit pas aux démarches, à l’administratif. Le kiosque prend soin par sa manière de considérer l’autre dans son entier.
Concrètement, la mise en place du suivi social s’effectue après un premier entretien, où la personne est libre de raconter son parcours et de présenter ce dont elle a besoin. Lors de cette rencontre, l’éducatrice questionne son interlocuteur sur ce qu’il aimait faire, sur son métier, ses études. Une manière de rappeler qu’il a une histoire autre que celle forgée par les événements vécus. Après le long parcours d’exil et d’errance, c’est souvent le premier lieu où l’exilé peut enfin se poser, rencontrer réellement une personne dans un bureau, avec le temps nécessaire pour être reçu et écouté. Un espace où l’on peut déposer et être perçu en tant que sujet, avec un nom et un prénom. Cette hospitalité peut se percevoir jusque dans le corps qui se détend au fil des rendez-vous. En parallèle de cet accompagnement social, les deux juristes cherchent à faire annuler la procédure « Dublin » ou à obtenir un statut de réfugié. C’est donc toute une équipe qui entoure celui qui a pris le chemin de l’exil. Le cadre est énoncé afin de rendre compte de cette prise en charge pluridisciplinaire et de favoriser la mise en confiance. La personne est ainsi prévenue dès son arrivée que certaines informations resteront dans l’enceinte du bureau de l’éducatrice spécialisée tandis que d’autres seront partagées pour un meilleur suivi.
Cette bienveillance portée à l’autre se retrouve dans la cadence des rendez-vous sociaux, fixés en fonction des demandes, de l’histoire personnelle et de la fragilité perçue. Elle peut donc être très régulière ou pas, tout dépend de la personne. En cas de souffrance psychologique, une attention plus particulière pourra être portée jusqu’à ce qu’une prise en charge psychologique soit possible.
Le choix de cet accueil relève de convictions personnelles, partagées par une équipe et portées par une institution. Le principe de non abandon soutenu par Emmaüs se reflète dans la manière d’accompagner ceux qui se retrouvent exclus de tout car le suivi ne s’arrête pas à l’obtention des papiers ou au retour à une procédure normale. Il est important de considérer la personne en tant que telle et de ne pas la réduire à son statut de demandeur d’asile. La porte du Kiosque reste donc ouverte à ceux qui ont besoin d’être soutenus, d’avoir un repère dans ce parcours chaotique. Tout dépend des ressources de la personne, de ce dont elle se sent capable, si elle parvient à se débrouiller par elle-même, si l’état psychique est stable, si elle parle français, si elle a trouvé un emploi, etc. La violence que peut représenter une fin de suivi est questionnée au cas par cas.
Par cette approche globale dont l’accompagnement est adapté à la singularité de chacun, le Kiosque parvient à devenir un lieu ressource pour ceux qui s’y présentent. Certains y voient une maison, une famille, d’autant que l’équipe est composée de cinq membres. Les personnes reçues au Kiosque sont toutes en rupture totale avec leur famille. A cela, s’ajoute le caractère forcé du départ. C’est important de le rappeler compte tenu du contexte actuel. La nature des violences peut différer mais partir est toujours une contrainte. Pour certaines personnes, c’est une fuite urgente pour échapper à un danger. Pour d’autres, c’est un processus plus lointain, qui va remonter à plusieurs années, voire plusieurs décennies, jusqu’à un point où dans leur histoire, il faut partir. C’est notamment le cas des femmes qui subissent le mariage forcé. Pour elles, il a fallu grandir avec cette violence au quotidien. Dans les pays comme l’Afghanistan – dont proviennent une partie des bénéficiaires du Kiosque -, c’est plus latent. Ce pays et ses régions sont complexes. Qu’est-ce qu’une menace directe ? Qu’est-ce qui est lié au climat ambiant ? Finalement, toutes les personnes sont menacées personnellement entre les Talibans, Daesh et les différents groupes… Certains ont vu leurs proches mourir les uns après les autres et savaient qu’ils étaient les prochains.
Une fois en France, tout est à reconstruire. Pour certains, notamment les femmes, cela peut être le début d’une nouvelle vie, avec la possibilité d’aller à l’école, de se découvrir, de prendre des décisions. Partir aura été leur premier choix propre. Pour d’autres personnes, c’est plus difficile, et c’est en chemin qu’ils prennent la mesure de leur décision. L’exil peut donc être à la fois un acte mais aussi un processus. Quoi qu’il en soit, il est quasi impossible de se rendre compte de la solitude que provoque le fait d’être coupé des siens. Préserver un lien peut donner des appuis, mais la réalité est toute autre. Alors que l’usage des téléphones portables présageait une coupure moins douloureuse, il n’en est rien compte tenu du manque de réseau dans un pays comme l’Afghanistan. Ce qui ajoute de la souffrance à de la souffrance. De l’isolement à la solitude.
D’où la mise en place d’activités qui permettent à chacun de se placer autrement. L’éducatrice spécialisée et les deux animatrices-accueillantes cherchent à faire lien avec l’histoire de la personne en leur demandant ce qu’ils aimaient faire avant de tout quitter. C’est en fonction de ce qu’ils expriment que les propositions sont ajustées. Au moins deux activités sont réalisées chaque mois : visites de Paris, de musées ou encore un tournoi de football. La diversité des activités permet à chacun de s’y retrouver. L’important, c’est de répondre aux demandes des personnes, d’être à l’écoute de ce qu’elles aimeraient faire. Des projets culturels sur le long terme sont aussi réalisés avec ceux qui souhaitent s’investir, comme la réalisation de courts-métrages avec des professionnels de l’audiovisuel. Il n’y a pas d’enjeux. C’est un espace proposé pour être ensemble, créer une dynamique autre que celle de la relation d’assistance. En extrayant la personne quelques heures de sa situation, elle finit par se retrouver. Chacun peut être dans une place différente de celle qui lui a été assignée par le statut d’exilé. En étant dans un autre rôle, les liens peuvent se tisser, les conversations deviennent très différentes et la personnalité ressort. Ce sont des moments de partage où la personne peut être elle-même.
Il n’est pas nécessaire de mettre en place de grands dispositifs pour accueillir. Il suffit de considérer son semblable comme tel. Plus comme un numéro, plus comme un étranger, un demandeur, un sans papier. Mais comme une personne.
Interview de Sophie Iacono, éducatrice spécialisée au Kiosque.