On témoigne. On dit. On raconte. On écrit. On placarde. On dessine. On publie. On fait du bruit pour donner à voir et pour transmettre. Et le silence, peut-on l’écouter dans ce qu’il nous raconte ? Le silence comme un cri muet destiné à être entendu pour ce dont il témoignerait par essence et qui serait, par défaut, intransmissible par d’autres voies. Pierre Soulages et son outre-noir, impersonnel en apparence, silencieux car non pictural, mais riche en reliefs et en nuances. Le bruit du silence. Mais encore faudrait-il savoir l’appréhender, ce silence.
Le regard du travailleur social sur ceux qu’il accompagne. Le regard du travailleur social sur son travail, sur lui-même. Le témoignage du travailleur social est caractérisé par son silence, peut-être écrasé ou par une bouche ouverte dans un cri sourd, destiné à personne mis à part à lui-même, enfermé dans son bureau, entouré de ses dossiers, ses post-it, ses mails, ses agendas, ses personnes qui ne lui appartiennent pas mais dont il se sent en responsabilité, son téléphone, prêt à une implosion nucléaire qui viendrait tout éclater autour de lui mais qui jamais ne viendra, mis à part en lui-même.
L’entretien social, dans ou hors les murs d’une institution, est un espace où se disent, se reçoivent et se contemplent les absurdités technocratiques dont le travailleur social est, par bien des égards, le dernier acteur dans la chaine politique décisionnaire. Réalité dont il est à la fois témoin, acteur et victime et aux multiples effets de part et d’autre du bureau. Paradoxe de ces trois masques, tourniquet perpétuel, larmes silencieuses, sourires de contentement, éclats de rires, after-work décomplexé, négociateur acharné ou désabusé, le travailleur social serait-il sidéré d’être si polyphonique que seul le silence y trouverait son écho ?
Sur le versant traumatique, on évoque souvent le silence, la sidération, les reviviscences, illustrant entre autres combien la violence vient impacter la capacité du sujet à dire et donc potentiellement à témoigner ; cela vient annihiler la possibilité de se projeter et de désirer. Le travailleur social, en toute mesure mais quand même, est-il lui aussi dans une forme de stress post-traumatique occasionné par la violence sociale et politique dont il est, malgré lui, le fantassin porte-voix ?
La courroie de transmission qu’est le travail social est tant à l’usure que l’on pourrait s’étonner de ne pas l’entendre davantage grincer. Le travail social est tant sabordé, nié et dépouillé de son essence même qu’on s’interroge si on ne devrait pas le rebaptiser « Technicien de service privé » ou « gestionnaire de flux », par souci d’honnêteté intellectuelle.
Que pourrait nous raconter le silence des travailleurs sociaux si ce n’est la déshumanisation occasionnée par la dématérialisation des dispositifs et des services publics, faisant glisser année après année les capacités réflexives et donc critiques des professionnels au profit d’une gestion des flux, des contraintes matérielles et technocratiques – à l’inverse de ce qui les a conduit ici – pour au final, en devenir malades ? Dans ce silence tonitruant, les travailleurs sociaux nous disent bien des choses.
En formation, ils racontent leur dépendance. Aux politiques, à leur institution gestionnaire, au système de protection sociale qui se désagrège sous leurs yeux, au sentiment d’injustice qui les traverse, à leur solitude et excès de solitude d’une société hyper-connectée qui en laisse tant sur le carreau. Et ils se barricadent ou jouent des coudes pour les plus téméraires avec une seule idée en tête : éviter que leur cri silencieux les emporte.
Silence, les travailleurs sociaux témoignent, bâillonnés par les procédures, les files actives qui explosent, les délais d’attente devenus des délais de refus, les directives de la direction générale assise au siège social, étouffés par les marchés public, isolés par la restructuration. Silence, le travail social se noie avec ses usagers. Silence, la grève des urgences comptabilise 6 mois au compteur. Silence, la psychiatrie se meure. Silence, les fiertés publiques deviennent honteuses. Silence, tout va bien.
Et pourtant, ils crient. Ici et là. Tendez l’oreille….
Elise Plessis, assistante sociale au Centre Primo Levi
On témoigne. On dit. On raconte. On écrit. On placarde. On dessine. On publie. On fait du bruit pour donner à voir et pour transmettre. Et le silence, peut-on l’écouter dans ce qu’il nous raconte ? Le silence comme un cri muet destiné à être entendu pour ce dont il témoignerait par essence et qui serait, par défaut, intransmissible par d’autres voies. Pierre Soulages et son outre-noir, impersonnel en apparence, silencieux car non pictural, mais riche en reliefs et en nuances. Le bruit du silence. Mais encore faudrait-il savoir l’appréhender, ce silence.
Le regard du travailleur social sur ceux qu’il accompagne. Le regard du travailleur social sur son travail, sur lui-même. Le témoignage du travailleur social est caractérisé par son silence, peut-être écrasé ou par une bouche ouverte dans un cri sourd, destiné à personne mis à part à lui-même, enfermé dans son bureau, entouré de ses dossiers, ses post-it, ses mails, ses agendas, ses personnes qui ne lui appartiennent pas mais dont il se sent en responsabilité, son téléphone, prêt à une implosion nucléaire qui viendrait tout éclater autour de lui mais qui jamais ne viendra, mis à part en lui-même.
L’entretien social, dans ou hors les murs d’une institution, est un espace où se disent, se reçoivent et se contemplent les absurdités technocratiques dont le travailleur social est, par bien des égards, le dernier acteur dans la chaine politique décisionnaire. Réalité dont il est à la fois témoin, acteur et victime et aux multiples effets de part et d’autre du bureau. Paradoxe de ces trois masques, tourniquet perpétuel, larmes silencieuses, sourires de contentement, éclats de rires, after-work décomplexé, négociateur acharné ou désabusé, le travailleur social serait-il sidéré d’être si polyphonique que seul le silence y trouverait son écho ?
Sur le versant traumatique, on évoque souvent le silence, la sidération, les reviviscences, illustrant entre autres combien la violence vient impacter la capacité du sujet à dire et donc potentiellement à témoigner ; cela vient annihiler la possibilité de se projeter et de désirer. Le travailleur social, en toute mesure mais quand même, est-il lui aussi dans une forme de stress post-traumatique occasionné par la violence sociale et politique dont il est, malgré lui, le fantassin porte-voix ?
La courroie de transmission qu’est le travail social est tant à l’usure que l’on pourrait s’étonner de ne pas l’entendre davantage grincer. Le travail social est tant sabordé, nié et dépouillé de son essence même qu’on s’interroge si on ne devrait pas le rebaptiser « Technicien de service privé » ou « gestionnaire de flux », par souci d’honnêteté intellectuelle.
Que pourrait nous raconter le silence des travailleurs sociaux si ce n’est la déshumanisation occasionnée par la dématérialisation des dispositifs et des services publics, faisant glisser année après année les capacités réflexives et donc critiques des professionnels au profit d’une gestion des flux, des contraintes matérielles et technocratiques – à l’inverse de ce qui les a conduit ici – pour au final, en devenir malades ? Dans ce silence tonitruant, les travailleurs sociaux nous disent bien des choses.
En formation, ils racontent leur dépendance. Aux politiques, à leur institution gestionnaire, au système de protection sociale qui se désagrège sous leurs yeux, au sentiment d’injustice qui les traverse, à leur solitude et excès de solitude d’une société hyper-connectée qui en laisse tant sur le carreau. Et ils se barricadent ou jouent des coudes pour les plus téméraires avec une seule idée en tête : éviter que leur cri silencieux les emporte.
Silence, les travailleurs sociaux témoignent, bâillonnés par les procédures, les files actives qui explosent, les délais d’attente devenus des délais de refus, les directives de la direction générale assise au siège social, étouffés par les marchés public, isolés par la restructuration. Silence, le travail social se noie avec ses usagers. Silence, la grève des urgences comptabilise 6 mois au compteur. Silence, la psychiatrie se meure. Silence, les fiertés publiques deviennent honteuses. Silence, tout va bien.
Et pourtant, ils crient. Ici et là. Tendez l’oreille….
Elise Plessis, assistante sociale au Centre Primo Levi