Tout perdre ?Le deuil en exil

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Mémoires n°78
Prix : 8 euros (papier) / gratuit (en ligne)

Sommaire

Dossier

p.2 • Edito : Ce qui se déplace, par Antoine Ricard, Président du Centre Primo Levi

p.5 • Pour un autre deuil : l’éloge de la mélancolie, par Armando Cote, psychologue clinicien, psychanalyste au Centre Primo Levi

p.8 • Qu’est-ce que la perte de papier fait à la personne ?, par Frédérique Fogel, anthropologue

p.10 • L’évocation de la perte dans la demande d’asile, Entretien avec Aurélia Malhou, juriste au centre de soins Primo Levi

p.12 • Pratiques cérémonielles pour les morts en migration, par Carolna Kobelinsky et Stefan Le Courant, anthropologues

Enfants et familles

p.15 • Les fantômes du passé, par Jacky Roptin, psychologue clinicien, psychanalyste au Centre Primo Levi

p.18 • Le deuil chez l’enfant, par Nathalie Dollez, psychologue clinicienne, psychanalyste au Centre Primo Levi

Regards

p.20 • Accompagner les familles des disparus, par Stefania Asimakopoulou, officier de recherches au Rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge

E(n)cart social

p.22 • De la perte au départ., par Elise Plessis, assistante sociale au Centre Primo Levi


Édito

Ce qui se déplace

Quand les conditions pour vivre ne sont plus réunies, on part.

Biologiquement c’est la mort, anthropologiquement c’est l’exil.

Certains meurent en douceur, tout à la fin de l’existence quand le corps et l’esprit s’entendent pour confier au sommeil le soin d’éteindre paisiblement la lumière.

Certains décident d’un exil volontaire, c’est le cas de l’aventurier qui quitte tout pour voir le monde, ou pour chercher fortune.

Mais le plus souvent, la mort et l’exil sont faits de départs forcés, prématurés, souffrants.

Des morts brutales, violentes, des accidents, des maladies graves, des agonies.

L’exil est forcé, presque toujours, sous peine de mort, de torture, de violence, d’humiliation, de misère.

Ce numéro de Mémoires explore le deuil, mais le deuil en exil, perte dans la perte, brutalité dans la brutalité, mort dans la mort, deuil dans le deuil.

C’est ce vertige, ce sujet traversant, ce sujet miroir d’une intense complexité, que nos cliniciens décryptent, précis et passionnants comme toujours, au plus près de l’être humain, au plus près de nos patients.

Les auteurs invités, quant à eux, livrent des témoignages très forts sur « les pratiques cérémonielles pour les morts en migration » et sur les personnes disparues.  

Ces textes forment une réflexion, une méditation sur ce qui se déplace quand on part, quand on meurt, quand on meurt sur le chemin de ce qui devait être un nouveau départ.

On vit avec les autres, les autres façonnent notre univers mental, notre quotidien, notre façon de vivre, ils se font et nous leur faisons une place dans nos vies, ils nous forment et nous déforment.

Notre corps, notre esprit, l’écheveau de nos émotions, construisent à la façon d’un ergonome un espace vital dans lequel nous trouvons notre équilibre.

Quand un proche part, qu’est-ce qui se déplace ?

Le deuil, c’est d’abord ressentir douloureusement ce déplacement, cet arrachement, la douleur du deuil est un signal.

Le deuil, c’est la peur de l’absence. Cette place désormais vide, par quoi, par qui la remplacer ? Que faire avec l’irremplaçable ?

Le deuil, c’est le désespoir. La mort est cet exil qui ne porte en lui aucun espoir de retour. Que faire avec l’irréversible ?

Le deuil, c’est l’injustice d’un départ forcé, violent, prématuré. Que faire avec l’inacceptable ?

Le deuil, c’est un miroir qui nous renvoie l’image implacable de notre propre condition de mortel. Que faire avec l’inéluctable ?

Enfin, il y a la tristesse…

A la lecture de ce numéro de Mémoires nous voyons que les pratiques, les thérapies, les rituels, quelles que soient leurs natures, jouent un grand rôle pour mettre la mort et les morts à la « bonne » place.

Et la bonne place d’un être humain, de sa naissance à sa mort, c’est celle où il jouit de la plénitude de sa dignité.

A cet égard, il y a la figure du prêtre de Tanger qui porte au plus haut le combat pour la dignité en donnant une sépulture symbolique à ceux qui n’avaient rien d’autre que leur propre vie et qui sont morts noyés dans cette méditerranée d’indifférence qui baigne désormais les rives de notre époque.

A cet instant, ce numéro de Mémoires interroge aussi ce qui s’est déplacé à ce point dans nos sociétés pour que nous puissions tolérer ces morts par milliers sans qu’il n’y ait d’autre réaction consistante que les efforts remarquables et désespérés des associations et des militants.

Comme si sauver des êtres humains de la noyade, comme si donner une sépulture digne à un mort, relevaient à présent du subversif ou pire, du superflu.

Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi