Édito

En 2017, le centre de soins Primo Levi a accueilli et soigné 391 personnes, dont 122 sont arrivées en cours d’année. Il a de nouveau été confronté à une très forte hausse de demandes de prise en charge pour des personnes ayant subi des actes de torture et de violence politique dans leur pays d’origine, ou – fait nouveau –, pendant leur parcours d’exil. Le centre ayant des capacités de prise en charge limitées, il refuse régulièrement des demandes, au grand dam des partenaires souvent démunis face à l’ampleur des traumatismes des personnes pour lesquels ils nous sollicitent. Pour faire face à cela, des permanences d’accueil ont été mises en place en 2015 afin de réorienter au mieux les demandes qui ne peuvent être satisfaites. Des relais existent, même s’ils sont peu nombreux en particulier pour le suivi psychologique avec interprète : c’est pourquoi le Centre Primo Levi encourage les partenaires à le contacter même si sa liste d’attente est fermée. Il faudra réfléchir à développer, structurer et financer ce dispositif de réorientation.

De plus, le Centre Primo Levi a accueilli cette année plus de personnes venant par le « bouche à oreille » que par les partenaires, et parmi eux un grand nombre de personnes déboutées. Ayant constaté que la demande de ce public était souvent avant tout sociale et juridique, le Centre a décidé de privilégier de nouveau l’admission via les partenaires. De fait, face à la hausse de la demande, le Centre Primo Levi envisage de créer un réseau de psychologues bénévoles formés par lui. Il a par ailleurs renforcé deux axes stratégiques de son activité : la formation et le plaidoyer.

Concernant la formation, le Centre Primo Levi a mené un gros travail au cours de l’année 2017 pour être référencé dans Datadock comme organisme de formation de qualité.

Par ailleurs, un nouveau cycle de formation appelé « cycle du vendredi » et comprenant une série de 8 formations sur des thèmes en lien avec notre clinique a été proposé au public. Ce cycle a eu un très grand succès et a montré qu’à travers cette proposition, le centre de formation était capable de proposer des formations au plus proche des attentes de ses stagiaires et de se renouveler. Ce cycle a été renouvelé en 2018.

Face à l’arrivée plus massive ces deux dernières années de réfugiés polytraumatisés par les violences subies, souvent passés par la Libye et la Méditerranée, beaucoup d’équipes en Cada et autres lieux d’hébergement se sont trouvées démunies. De ce fait, les demandes de formation auprès du Centre Primo Levi ont fortement augmenté : 39 sessions ont eu lieu à Paris et en région, ce qui nous a permis de former près de 700 professionnels (médecins, psychologues, juristes, assistants sociaux, étudiants, bénévoles etc.) à la prise en charge des traumatismes associés à la violence. Au-delà de ces formations, le Centre a participé à différents groupes de travail. L’un d’eux, mis en place par le Ministère des Solidarités et de la Santé sur la santé mentale des migrants, a rappelé l’importance de la prise en compte du psychotrauma

dans le parcours de soins des migrants et la nécessité de développer cette prise en charge dans le système de santé de droit commun, tout en soutenant les centres spécialisés existants. Le Centre Primo Levi est ici au coeur de son mandat de diffusion de ses pratiques au sein des dispositifs de « droit commun ».

Quant à ses activités de plaidoyer, le Centre a été particulièrement actif et réactif en 2017. Il a poursuivi tout au long de l’année son travail de plaidoyer autour du rapport Persécutés au pays, déboutés en France paru en novembre 2016. Largement diffusé auprès des professionnels et des parlementaires, ce rapport a donné lieu à différentes rencontres avec les acteurs concernés (notamment avec la CNDA) et les décideurs.

A l’occasion de la campagne présidentielle, face aux discours de haine, de rejet et de xénophobie à l’encontre des migrants, le Centre Primo Levi a lancé sa première campagne 100% digitale, baptisée #poisondavril2017, dans le but de valoriser les effets positifs de l’accueil des réfugiés et de mettre en avant quelques-unes des centaines d’initiatives récentes et d’expériences réussies. Avec 1,6 millions de personnes touchées sur Twitter sur les 3 premiers jours et au total plus de 3 millions de vues, cette campagne a renforcé notre certitude que beaucoup de nos concitoyens se retrouvent dans des valeurs d’accueil et de solidarité envers les migrants, et qu’il existe un décalage entre le discours politique et l’engagement des citoyens. De la même façon, il faudra probablement prévoir d’intervenir à l’occasion du débat autour des élections européennes de mars 2019.

Par ailleurs, malgré une année qui a de nouveau vu se durcir la politique d’accueil des migrants, le Centre Primo Levi a eu la chance et l’honneur de participer à une grande manifestation d’artistes en faveur des réfugiés intitulée « We dream under the same sky » et organisée par le fonds de dotation Thanks for nothing. Les oeuvres de 26 grands artistes contemporains ont été exposées au Palais de Tokyo et mises aux enchères au profit de 5 associations dont le Centre Primo Levi. Cette mobilisation des artistes au profit des réfugiés démontre une fois encore que nombre de citoyens sont sensibles à cette problématique et que chacun a un rôle à jouer pour changer le regard de la société sur ces personnes qui cherchent asile et protection sur notre territoire. Le Centre Primo Levi réfléchit actuellement à mobiliser des donateurs autour de grands évènements de ce type ou de grands projets.

Le Centre s’est également mobilisé à l’automne avec un grand nombre d’associations contre le tri des personnes sans-abri prévu par deux circulaires du Ministère de l’Intérieur. Contraires au principe de l’inconditionnalité de l’accueil, celles-ci prévoient l’envoi d’équipes mobiles constituées d’agents de l’Ofii et du service étranger des préfectures dans les centres d’hébergement en vue d’identifier les personnes de nationalité étrangère. Le Défenseur des droits et le Conseil d’Etat, saisis par les associations, ont retenu l’essentiel des points soulevés. Ainsi, les équipes mobiles ne peuvent désormais interroger que les seules personnes hébergées qui le souhaitent.

A l’approche du « projet de loi Asile et Immigration », le Centre Primo Levi a porté activement deux recommandations : la formation obligatoire des agents de l’asile (Ofpra et CNDA) aux effets du psychotrauma et la mise en place d’un examen de détection du psychotrauma dès le début de la procédure d’asile. Ce travail de plaidoyer ciblé a un triple impact positif : sur la qualité de prise en charge de nos patients, sur notre notoriété et notre influence et enfin sur nos financements.

Ces sujets ont d’autant plus d’importance que le Centre Primo Levi a eu des difficultés en fin d’année, compte tenu du fait que certains financeurs ont diminué leur subvention ou ne l’ont pas renouvelée en 2017. Heureusement, le Centre a pu compter sur le soutien du Ministère de l’Intérieur, du Ministère des Solidarités et de la Santé, de l’Agence régionale de santé et de ses donateurs individuels, qui tous reconnaissent la qualité, la légitimité et l’importance du travail du centre. Mais cette difficulté a de nouveau soulevé la question de la pérennité du modèle économique de l’association, notamment pour ses activités de soins, sujet qui sera de nouveau très présent dans les prochaines discussions du conseil d’administration et des salariés.

Le Centre Primo Levi a un rôle crucial à jouer dans ce moment où l’accueil des exilés se pose comme un défi majeur de société en France et en Europe. Mais nous ne pourrons agir efficacement que si le modèle économique de ce centre de soins unique trouve enfin une stabilité.

Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi