Les patients reçus au centre de soins arrivent dans un état de très grande souffrance. Aux séquelles physiques telles que des douleurs articulaires, des maux de têtes violents s’ajoutent des troubles psychiques importants. En France, la précarité matérielle, les difficultés à obtenir un statut protecteur et la suspicion récurrente qui pèse sur les personnes exilées entravent leur reconstruction.


Parcours de patients

Les personnes accueillies au Centre Primo Levi viennent des cinq continents et de réalités différentes mais ont toutes souffert de violences et de torture dans leur pays d’origine, ainsi que  sur le chemin de l’exil. Voici les parcours de deux d’entre elles :

De Kaboul à Paris, une reconstruction suspendue

Sahar A. est afghane, elle vient d’avoir 76 ans. Elle est arrivée en France en 2016. Son destin a basculé après avoir participé, avec son mari, à une manifestation à Kaboul. Trois semaines après celle-ci, son mari est envoyé en prison où il perdra la vie. Leur commerce est confisqué ainsi que tous leurs biens, Elle doit fuir son pays sous peine de connaitre le même sort. Elle parvient à arriver en France, veuve, dans un pays qu’elle ne connait pas, portée par les circonstances, le pays n’est pas vraiment son choix. Elle arrive au Centre, et débute un double suivi, psychologique et médical, soutenu. A 76 ans, le séjour en France n’est pas simple, elle est d’abord soutenue par une association de femmes à Paris, avec laquelle le Centre Primo Levi se met en lien. Un premier logement est trouvé, mais auquel il manque un élément essentiel, une clef. Elle n’a pas la clef de sa chambre, et sans cesse en vigilance, elle ne peut pas trouver le sommeil.

Au bout de plusieurs mois, elle trouve, grâce à l’action conjointe du Centre et de l’association de femmes, un logement indépendant. Sa situation s’améliore grandement. Les consultations s’espacent, mais en 2021, la prise de Kaboul par les forces talibanes la ramènent dans l’horreur. Elle revient au Centre une fois par semaine. Cet épisode de violence à Kaboul fait aussi remonter des épisodes plus anciens qu’elle n’avait pas évoqués pendant les consultations. Remonte aussi la honte d’avoir été trahie, manipulée par le pouvoir des talibans, une honte qu’elle ne peut pas partager. Le répit qu’elle avait commencé à vivre est suspendu. Le psychologue de notre Centre qui la suit se mobilise pour assurer le lien, lui apporter une certaine forme de stabilité. C’est une dame de 76 ans, qui a certes le statut de réfugiée, mais qui vit avec très peu de ressources financières et se questionne fortement sur les raisons de sa présence en France. Sans ce nouvel épisode de violence, le soin aurait dû être conclu, mais la guerre a de nouveau fait son apparition, de manière trop massive, et a endommagé le chemin de sa stabilisation. Il faut désormais répondre à nouveau à sa demande de soutien.

Revenir à une certaine normalité

Sékou A. a 34 ans, membre d’un parti d’opposition très actif en Côte d’Ivoire. Il était chef de section sur place et par ailleurs commerçant. Un commerce florissant mais il a été arrêté, torturé et son magasin pillé. Il a effectué plusieurs séjours en prison. Par le biais d’un cousin, il a réussi à en sortir et décidé de fuir vers la France. Il est entré au Centre Primo Levi près de 6 mois après son arrivée en France, dans un état vraiment critique, très « envahi » au niveau du corps. Il est reçu dans un premier temps par un médecin. La parole est difficile. Pourtant celle-ci se débloque petit à petit, laissant une voie d’accès à un travail avec le psychologue auquel M. A. est adressé. Le psychologue l’accompagne beaucoup, travaille sur la construction de repères, qui, chez lui, ont été détruits par la violence. Une absence de repères qui lui fait manquer des consultations, des moments que notre praticien rend très consistants, comme pour apporter une forme de permanence, de continuité, comme pour dire « voilà, je vous attends, nous nous voyons la semaine prochaine ». Doucement, il finit par revenir à une certaine normalité. Un répit de courte durée, que vient percuter l’annonce du rejet de sa demande d’asile. Pendant son entretien, il décrit à son psychologue avoir été comme tétanisé, il n’est pas arrivé à expliquer sa situation, à montrer les documents qui la justifient, il a subi l’entretien, sans oser intervenir, comme s’il était resté la « chose » de l’autre, un des effets de la torture. Le refus de sa demande est très mal vécu. Ce moment est déterminant pour notre équipe car il faut véritablement « tenir » M. A. pour qu’il continue ce qu’il avait commencé à construire, sous la menace de l’effondrement. Son accompagnement est crucial pour pouvoir dépasser cette sidération toujours très présente. Cela demande d’être très soutenant, pour que peu à peu des repères reviennent, que M. A. cesse de subir et redevienne sujet, acteur de sa propre vie.