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Quelle est la place des référents, parfois sidérés, neutralisés ? Comment intervenir auprès de ces jeunes adultes ? Qui décide pour eux ?
Quelles que soient les raisons qui ont poussé le mineur à quitter sa famille et son pays, les professionnels constatent combien leur prise en charge est complexe. On les considère mineurs (parfois à l’aide d’un examen osseux, façon troublante de faire « parler » le corps, tout en annulant ce que le jeune en dit) pour préciser le cadre de l’accompagnement qui leur sera proposé. Cette qualité de non adulte exige l’intervention d’un référent qui, du fait de l’isolement de ces jeunes, ne sera pas un membre de leur famille mais une personne qui leur sera parfaitement étrangère, un professionnel désigné par les autorités.
Jusqu’ici, la différence n’est pas remarquable par rapport à d’autres mineurs qui connaissent, souvent très jeunes, un parcours de « rustines » institutionnelles à la première institution (la famille) qui pour eux n’a pas fonctionné. Si ce n’est que ces jeunes ont quitté leurs parents dans un contexte de violence. C’est ce mode d’entrée forcée dans la vie adulte qui peut être questionné dans un centre de soins spécialisé.
L’irruption de la violence vient désorganiser les repères symboliques tissés par une famille ; ce maillage symbolique est constitué des valeurs transmises, des codes qui allaient permettre aux enfants, un jour devenus adultes, de cohabiter et de partager l’espace social. Mais cette famille se retrouve désarticulée et le jeune qui en a été arraché ne peut pas s’autoriser à naviguer dans le social pour deux raisons : premièrement parce que sa responsabilité est limitée, il n’est pas encore un citoyen à part entière ; et puis ce social qui lui est complètement étranger ne reconnaît pas ces jeunes en tant qu’homme ou femme.
Ainsi déboussolé, notre mineur en mal d’inscription sociale aura besoin de représentants de la place parentale, sorte de passeurs, d’accompagnateurs qui seront désignés par un Juge. Ces travailleurs sociaux, quelques fois très jeunes, ne mesurent pas toujours la responsabilité qu’ils ont, ce rôle de transmission essentiel qui nécessite fermeté et délicatesse.
Celui que l’on nomme parfois le « référent » est ainsi invité à occuper une place d’autorité pour préparer le mineur à devenir un bon citoyen. Dans la grande majorité des cas les places (référent / jeune) sont claires et la mission du professionnel va contenir l’angoisse, c’est ce que nous nommerons des effets thérapeutiques.
Il est cependant autrement plus intéressant d’évoquer pour réflexion ici ce qui peut éventuellement, ponctuellement, dysfonctionner et qui nous est rapporté par nos patients. Isolons aujourd’hui seulement trois axes :
– Certains professionnels, de n’importe quel champ d’action, résistent mal à la précarité affective, à toutes les carences de ces patients ; alors ils risquent de se retrouver comme des parents surprotecteurs, qui s’affairent autour d’un enfant hébété, mais… vorace ! Parce qu’il sera question de donner tout ce qui manque à quelqu’un qui a tout perdu, qui n’a rien. L’un des inconvénients d’une telle configuration si maternante c’est que le jeune se prend au piège et en vient à exiger la satisfaction de sa demande… sans en payer le prix, comme le fait le petit enfant avec sa mère. « J’ai des droits », disait un jeune furieux parce que l’animateur du foyer lui demandait de participer aux corvées, comme les autres.
– Un risque important que nous connaissons tous et auquel n’échappent pas les travailleurs sociaux est celui d’être neutralisé dans sa fonction à cause du traumatisme. La maîtresse de CM2 que j’avais un jour en ligne me dit, émue « J’ai essayé de le punir, mais il m’a déjà raconté l’assassinat de son frère et d’autres horreurs… je ne peux pas ! ». Et cette impossibilité rejoint celle que nous constatons chez des parents qui culpabilisent d’avoir fait subir ce parcours aux enfants… et ne s’autorisent plus à leur mettre des limites.
– Puis un cas très fréquent qui concerne précisément la violence. Nombreux sont ces jeunes qui se plaignent que le responsable du foyer, issu d’une autre minorité, leur adresse des insultes racistes, qu’un éducateur à peine plus âgé qu’eux leur propose de l’herbe et leur fait du chantage, etc. Ces enfants déjà mis dans une position d’objet par le passé, peuvent de ce fait susciter des réactions similaires.
Omar Guerrero, psychologue clinicien