Déborah Caetano, responsable du service accueil, et Juliette Krassilchik, accueillante, écoutent, rassurent pour que l’angoisse ne se confonde plus avec l’urgence.
A quelles urgences êtes-vous confrontées au service accueil ?
Juliette Krassilchik : Pour les patients, l’urgence, c’est souvent d’obtenir un rendez-vous avec la juriste ou l’assistante sociale. Parfois, c’est simplement parce qu’ils n’ont pas reçu de réponse à leur message. Leur déplacement est souvent lié à une anxiété. Ils viennent au Centre Primo Levi pour obtenir des nouvelles ou appeler à la rescousse. En réalité, c’est rarement une urgence, en tout cas vitale. C’est plutôt quelque chose qui les préoccupe. Ce qui ne veut pas dire que nous n’allons pas prendre cette demande au sérieux.
Déborah Caetano : Mais cette urgence peut aussi venir d’autres institutions, comme le Samu social par exemple, qui orientent de nouvelles personnes au Centre en disant que c’est urgent et que nous sommes en capacité de les aider. Par effet ricochet, l’urgence du partenaire devient l’urgence de la personne. Nous sommes là pour l’écouter, pour déceler la nature de son urgence et ce que nous allons pouvoir faire pour elle.
L’idée, c’est d’accueillir cette demande, puis d’expliquer le fonctionnement du Centre, comme le fait que nous ne recevons pas dans l’urgence. Cela permet de dégonfler cette sollicitation. Nous précisons qu’il y aura tout d’abord un entretien d’accueil, et qu’un rendez-vous auprès d’un médecin ou d’un psychologue viendra après quelques mois d’attente. Nous nous appuyons sur le cadre de l’institution que nous transmettons. La nature des violences subies ne peut en aucun cas donner une priorité, à part pour les enfants. S’il existe une urgence vitale, alors, nous orientons vers les services des urgences. En dehors de ce cas, si la personne ne peut pas attendre, alors nous l’orientons vers des partenaires. Sinon, c’est la date de la demande qui prévaut.
Il y aurait donc une urgence à être entendu ? Votre fonction d’accueil et d’écoute viendrait alors accuser réception d’une demande et dégonflerait l’urgence ?
DC : Oui, nous entendons, écoutons, orientons si besoin. Et nous accueillons tout, les larmes, les mots, les gestes…
JK : Les personnes qui arrivent au Centre sont souvent en bout de course : déboutées du droit d’asile, avec une décision de rejet de la Cour nationale du droit d’asile. Elles sont en rupture de parcours, ne sont plus hébergées en Centre d’accueil pour demandeur d’asile. Elles n’ont plus rien et le nom de notre institution circule entre partenaires ou compatriotes, comme une aide possible. A cela s’ajoute un vécu traumatique, donc les personnes arrivent avec cette sorte de béance et l’urgence d’être entendues parce que toutes les autres portes ont été fermées.
DC : Et je pense aussi à la présence régulière de nos interprètes qui permet d’échanger dans sa langue maternelle, même quand une personne arrive sans rendez-vous. Elle sera en mesure de comprendre ce qu’on lui explique, ce qui diminuera son angoisse.
Ces arrivées au Centre se font avec énormément d’espoir et de notre côté, nous devons rappeler que nous sommes avant tout un centre de soins pluridisciplinaire. Parce que la demande première est souvent juridique ou sociale. L’urgence pour celles et ceux qui se présentent pour la première fois, c’est le logement ou l’obtention de « papiers ».
C’est donc vous qui tissez ces premiers liens qui permettront d’arriver à une demande psychologique ou médicale.
JK : Notre réponse est de proposer de les accompagner. De commencer par le soin, pour les « remettre debout », de leur dire que c’est possible de gérer ces problèmes de sommeil, etc. et qu’ensuite nous prendrons en compte d’autres démarches. En premier lieu, nous sommes un centre de soin. L’idée c’est de temporiser, de couper la demande en différentes parties, de séquencer. Par exemple, prendre un message avec quelques éléments de la demande, le transmettre à la responsable du service accueil, qui rappelle ensuite pour échanger, puis envoie les documents, réalise un entretien, etc. Ces étapes diluent l’angoisse des patients tout en nous préservant, nous, en tant qu’accueillantes.
DC : Notre travail d’écoutante s’est affiné avec le temps et souvent, évoquer les demandes sociales font émerger les besoins de soins médicaux ou psychologiques. Au fur et à mesure, nous nous sommes professionnalisées. Nous sommes traversées par la clinique en participant aux réunions de synthèses, aux supervisions, par nos propres lectures… Et puis, nous pouvons compter les unes sur les autres pour prendre du recul, car si nous nous laissons emporter par l’urgence de l’autre, cela n’aidera aucune d’entre nous.
Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef