Il y a un moment, le dernier, où tout le monde est à égalité.
Mais avant cela les inégalités, les injustices ne font que s’aggraver à mesure que le temps passe.
Dans une société solidaire, une société digne de ce nom, les droits et les ressources devraient augmenter en même temps que l’âge avance et à mesure que les facultés diminuent.
Nous savons que pour nombre de personnes âgées, ce n’est pas le cas.
Pour les personnes âgées exilées tout est, comme toujours, plus compliqué, la solidarité existe mais elle est moins abordable.
Souvent pauvres et fragiles, les personnes âgées exilées qui ont déjà vécu une vie d’épreuves et de combats vont devoir continuer à lutter à un moment où elles aspirent au repos.
Cette façon de laisser prospérer, dans un pays riche, un système qui maltraite les vieux, les exilés et donc, mais de façon exponentielle, les vieux exilés, devrait nous couvrir de honte.
Au lieu de cela, la maltraitance des exilés devient pour un nombre toujours plus grand de personnes une solution, une bonne idée, un projet politique et même une fierté.
Les exilés sont en première ligne dans nos débats politiques, mais ils sont surtout en première ligne au travail : dans nos maisons, nos écoles, nos entreprises, nos hôpitaux, nos Ehpads ; ils stimulent notre économie, soutiennent nos familles, bien souvent, ils sont auprès des fragiles et des précaires, ils sont en première ligne pour répondre à nos besoins et combler nos insuffisances.
Nous leur devons accueil, protection et intégration, au plus tôt et au mieux, dans la société.
Ce numéro de Mémoires qui évoque la situation des personnes âgées exilées montre que nous en sommes loin.
Ils sont les derniers dans la file d’attente aux caisses de solidarité.
Leur dossier est en dessous de la pile et pour eux, il manquera toujours un papier.
Immigrés indésirables, suspects ou invisibles, au moment de la retraite, ils attendront parfois des années pour que leur demande, légitime, de protection sociale soit traitée.
Ces histoires d’hommes et de femmes venus pour travailler qui n’eurent ni pot d’accueil, ni pot de départ, ces histoires où défile une vie entière de labeur qui n’a compté pour personne, ces histoires nous bouleversent.
Ces histoires parlent aussi de nous, du regard que nous portons sur les personnes âgées, sur les personnes exilées.
Changer de regard sur les exilés est une urgence vitale pour nos démocraties car c’est ce qui permettra de changer la grille de lecture imposée par les partis xénophobes ; changer de regard sur les vieux est une urgence sociale, les deux sujets ensemble deviennent le marqueur de notre niveau de civilisation et de développement.
Un peuple qui maltraite les personnes âgées exilées est un peuple en déclin.
La vieillesse est un exil.
Un exil immobile, sans promesse ni refuge.
Un moment de l’existence où la solitude étend son ombre, où le silence se fait, où le corps ne répond plus.
Vieillesse en exil, quand la fragilité s’ajoute à la précarité.
Vieillesse en exil, nous donne la température de l’océan de nos solidarités.
Et l’eau est froide.
Antoine Ricard, président du Centre Primo Levi
Edito du n°89 de la revue Mémoires.