Basketball – Suite et fin

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Le temps passe, je ne sais plus vraiment… 2, 3 ans… ? Le temps est étrange, ma vie toute bizarre, le monde encore plus. Et moi, je crois que je me suis habitué maintenant. Et l’habitude me rend mélancolique. Ca doit être le signe que là, vraiment, je vieillis.

Comme je ne dors plus dans les vestiaires, le basketball, c’est fini. Plus le temps, avec l’école, je n’ai plus le temps. Je voudrais mon bac mais l’école aussi, c’est fini maintenant. Il a fallu encore déménager, changer de lycée 6 mois avant le bac. J’ai tout lâché. Là-bas, il n’y avait que des Arabes et puis après il n’y avait que des Blancs. Comme si les Noirs disparaissaient de l’école alors qu’il y en a plein dans les rues de Paris. Je ne comprends pas. On dirait que l’école les mange puis les recrache dans les rues du 10ème arrondissement.  Je ne suis pas si différent, au final. Je voulais mon bac avec mention, je voulais jouer au basket, j’ai travaillé et puis j’ai abandonné. Parce que je vieillis : je suis réfugié maintenant, j’ai 20 ans, je n’ai plus le temps. Je dois gagner ma vie.

Alors j’ai fais mon CV. Pour travailler chez Amazon ou Carrefour. Quand je l’ai dit à l’assistante sociale, elle m’a regardé avec des yeux ronds et elle a eu cette phrase « Non mais ça va pas ?! » J’ai ri. Je ris toujours avec elle. Je ne pleure plus, j’ai moins mal, c’est plus facile. Elle a trouvé une école, un truc en son et image, parfait pour moi, elle dit. Pour la rentrée prochaine. Elle y croit. Elle dit « Trouve-toi un boulot et fais cette école, tu seras à ta place et je serai là, quoi qu’il arrive ». Je la crois. Elle a toujours tenu parole. Pas quand elle dit « je te rappelle » et qu’elle ne rappelle pas. Ça non. Mais pour tout le reste, les vacances, les sorties, les livres. C’est la seule chose qui compte. Je ne suis pas inquiet alors je lui ai demandé : « Pourquoi tu pars de Primo Levi ? C’est quoi la vraie vérité de ton départ ? » Elle n’a pas hésité, elle dit, c’est aussi ce que j’aime avec elle. Mais j’ai pas tout compris. Je me souviens qu’elle a parlé des années, qu’elle avait démarré jeune, qu’elle était fatiguée, qu’elle était en colère aussi. Que ça suffisait le massacre de nous, du peuple et des gens qui font le même métier qu’elle. Que beaucoup de gens importants sont des ignorants et qu’ils choisissent l’ignorance pour être confortables. Que leur influence est guidée par l’ignorance des autres.

Et puis elle a parlé du COVID et de toutes les choses qui étaient cachées par le COVID, que quelque chose était en marche, un truc fort, elle a dit le mot « civilisation », elle a parlé de la durée de vie de la démocratie, mais je ne sais plus pourquoi et qu’elle avait trouvé sa réponse à elle pour les années à venir. Elle n’avait jamais autant parlé, je l’ai écouté, c’était drôle. A moi, on ne se confie jamais. Mais après, je ne savais pas comment penser ce qu’elle m’avait dit. Elle était embarrassée aussi, elle s’est excusée. Mais j’étais content. Parce qu’elle m’avait dit la vraie vérité

Je lui ai demandé pour qui elle allait voter. Elle n’a pas répondu. Là, elle a eu l’air perdue. Moi je ne peux pas voter, je n’ai pas le droit, dans 5 ans j’espère. Mais je sais que le président, je n’ai pas confiance. Il dit que rien n’est obligatoire mais en fait tout est obligatoire. Ce n’est pas convenable de penser et dire les choses ainsi.

Enfin, tout cela m’a rendu un peu triste. Parce que c’est compliqué à comprendre, j’ai déjà 20 ans mais je n’ai que 20 ans. Je suis déjà fatigué par la suite et en même temps, je suis heureux. Parce que tout reste possible, parce que je peux écrire la suite des 20 ans à venir. Alors l’assistante sociale qui s’en va, c’est un peu moi aussi qui part avec elle. Ses mots sont un peu les miens, mes mots sont un peu les siens mais chacun dans son coin.  Ça doit être cela le sens de l’expression « être lié ».

Alors je vous dis au revoir, à bientôt  et je nous souhaite à tous bonne chance. On en aura bien besoin.

Elise Plessis, assistante sociale


[1] 1ère partie dans le n°79 de mémoires, 2020, p.22