MNA : éviter de tomber dans la compassion

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Vouloir préserver les mineurs non accompagnés, être compatissant avec eux et les priver d’autorité n’est pas les aider. Quelques éclairages sur la situation de ces jeunes.

Comme tous jeunes, les « mineurs non accompagnés » traversent, eux aussi, la période de l’adolescence durant leur existence. A cet événement de la vie, vient s’ajouter d’autres drames subjectifs, tel que laisser toute une famille derrière soi, souvent après la mort ou la disparition d’un être proche. Au deuil interne de l’enfance, s’ajoute un deuil réel, celui de la séparation avec de multiples pertes d’identités culturelles, y compris celle de la langue. Plusieurs cas de figure peuvent alors se présenter.

Dans le travail auprès des mineurs non accompagnés, il est possible de les accueillir, non dans un discours du « maître » qui leur dicte ce qu’ils doivent faire, mais plutôt en les aidant à se rendre responsables de leurs manières d’agir. La tragédie qu’ils ont connue dans leur histoire demande à être reconstruite. Ce qui implique un désir clair et rassurant.

L’autorité relève d’une parole. Elle est effet d’un dire de quelqu’un dont le désir est de mobiliser pour qui le reçoit. Elle ne s’impose pas, même si l’on exige obéissance et respect.

Deux sentiments, honte et culpabilité, sont souvent présents chez ces jeunes mineurs non accompagnés. Ils se disent coupables de vivre. Ils ne trouvent plus de sens à leur vie, rien dans le symbolique ne leur permet de justifier leur existence, de nommer une raison d’être. Et pourtant ils sont là. Un des paradoxes de la survie est qu’à l’intérieur du sujet, il y a cette instance que Freud a appelé le surmoi, qui exige encore plus de sacrifices que les autres. Ce qui explique pourquoi ces jeunes sont souvent si exigeants avec eux-mêmes.

En ce qui concerne la prise en charge, le statut particulier donné à ces adolescents qui arrivent en France pose question. Deux attitudes peuvent se dégager vis-à-vis d’eux : soi une farouche suspicion sur les motifs de leur présence en France, soit une tendre compassion qui va marquer la prise en charge d’un stigmate du passé. Il peut arriver que certains adolescents soient mis en position d’exception, sous prétexte qu’ils ont assez enduré et qu’ils ont suffisamment été privés. Ceci les dispense parfois de nouvelles exigences, ce qui n’est pas leur rendre service.

Dans cette situation d’exception, l’autorité de l’adulte est mise à mal et le jeune pense que tout lui est dû et qu’il n’a pas besoin de demander. Inconsciemment, il a l’impression de pouvoir être exempté des obligations que la loi impose à tous. Cette position subjective peut mener le sujet à s’enkyster dans une position qui va le mener à vivre dans la précarité du fait de refuser de passer par le circuit de la demande. L’action de demander implique la reconnaissance d’un manque, d’une vulnérabilité. La demande est le signe d’une précarité car elle prend concrètement la forme d’une question qui attend une réponse.

Si dans nos suivis nous évitons au sujet qui arrive de se confronter à la question de la demande, si les institutions et les professionnels qui veulent défendre leur intérêt prennent leur place, un effet contraire se produit paradoxalement. La surprotection produit un effet de honte. Les jeunes nous font souvent part de ce sentiment de n’être rien d’autre qu’un corps, vidé de son sens. Ils se sentent joués, négociés sans pouvoir devenir acteur de leur vie.

Freud, dans sa pratique clinique, a repéré un caractère propre aux personnes qui ont le sentiment d’avoir le droit d’être dispensées de nouvelles exigences car elles seraient des exceptions et entendraient, aussi bien le rester.[1] Pour éviter de tomber dans le piège de la compassion, il faut renvoyer le mineur à sa responsabilité subjective, à son histoire : qu’est-ce-que tu comptes faire de ce qu’on t’a fait ? C’est une manière de lui rendre son statut de sujet, de le rendre responsable de son existence. Armando Cote, psychologue clinicien


[1] FREUD, Sigmund, Quelques types de caractère à partir du travail psychanalytique,