La fin du droit d’asile ?

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Pour Maître Piquois, présenter un traumatisme psychique suite aux violences vécues au pays ne garantit en rien une protection. Entretien sur l’absence de prise en compte du traumatisme dans la procédure d’asile.

Comment est pris en compte le traumatisme psychique dans la procédure d’asile ?

Actuellement, que ce soit sur le plan physique ou psychique, il n’existe aucune prise en compte de l’état de santé des personnes dans leur demande d’asile. C’est d’ailleurs une volonté politique avérée que de refuser un soutien à ce niveau, même si le discours est manifestement paradoxal de la part des autorités. D’un côté, les personnes vulnérables sont censées faire l’objet d’une attention particulière, mais de l’autre, aucune prise en charge n’est proposée à ces personnes. Pour preuve, il n’existe toujours pas de service médical à l’Ofpra (Office Français de protection des réfugiés et des apatrides). Comment une institution de protection comme celle-ci peut-elle fonctionner sans avoir de référents médicaux ? Pour moi, cela manifeste bien un profond désintérêt. De plus, effectuer des investigations médicales prend du temps, ce qui va à l’inverse d’une logique de raccourcissement des délais.

Constatez-vous une évolution depuis les dernières années ?

Aujourd’hui, la situation est pire que jamais. Les mineurs ne sont plus protégés, la police participe même à leur maltraitance, notamment à Vintimille ou à Nice. Les textes ne sont plus appliqués. Et quand on cherche à informer sur le droit, ce n’est ni entendu, ni appliqué. Le gouvernement se met à fonctionner par décret, comme cela vient d’être le cas pour la Guyane. Les demandeurs d’asile n’auront plus que sept jours pour présenter leur demande. De plus en plus d’ordonnances sont prises, ce qui signifie une justice sans audience, sans défense. Et les possibilités de recours sont ignorées.

A cette absence d’application du droit s’ajoutent des incohérences qui viennent entraver le fonctionnement de la procédure. Par exemple, j’ai reçu un collègue interprète en langue des signes. En se présentant au guichet d’une préfecture pour effectuer une demande d’asile, le fonctionnaire lui dit que son interprétariat ne va pas être possible car il a reçu la consigne que cela se passe par téléphone. L’interprète lui répond que la personne qu’il accompagne est sourde-muette et qu’il ne peut donc pas communiquer par téléphone ! La préfecture a préféré appeler un interprète en français, qui lui-même répétait les propos de l’agent à l’interprète en langue des signes, qui pouvait enfin traduire en langue des signes au demandeur. C’est complètement aberrant !

Comment préparez-vous vos clients que vous sentez fragilisés par leur vécu ?

De ma place d’avocat, j’essaye d’être au plus proche de leur récit. Je m’appuie le plus possible sur les certificats médicaux qui restent des documents extrêmement importants. Et puis, c’est une bonne chose que de pouvoir avoir accès aux enregistrements de l’officier de protection. On peut voir le décalage qui existe entre ce qui a été retranscrit dans le compte-rendu et ce qui a été dit. J’ai en tête le cas de trois frères. Le premier a obtenu le statut en 2005 et l’autre en 2016. Pour le troisième,  l’Ofpra motive un rejet. Pour des faits et un parcours similaires. En quoi la Convention de Genève ne s’applique-t-elle plus ? Lorsque j’écoute l’enregistrement, on entend clairement l’officier dire au requérant qu’il ne peut pas croire à son histoire. Il refuse clairement de lire les documents apportés. En quoi est-ce un entretien ? Tout comme pour les audiences : on ne peut plus dire que c’en sont. C’est comme si la seule chose qui était écoutée pendant l’audience était ce qui permet de rejeter proprement une demande, et ceci dans le seul but de respecter les bons chiffres.  A-t-on encore un droit d’asile ?

Fin 2016, le Centre Primo Levi a publié un rapport intitulé “Persécutés au pays, déboutés en France”. En effet, plus de la moitié des patients du Centre Primo Levi, tous victimes de torture ou de violences extrêmes, ont été déboutés du droit d’asile. Pourtant ces personnes peuvent prétendre, pour la quasi-totalité d’entre elles, au statut de réfugiés. En s’interrogeant sur le nombre de refus et les arguments avancés dans les décisions, le Centre Primo Levi s’est rendu compte que l’une des raisons majeures pour lesquelles ces personnes étaient déboutées du droit d’asile était due aux effets du psychotrauma. L’amnésie, le syndrome de reviviscence ou celui d’évitement, la dissociation, la dépersonnalisation, les troubles de la concentration, etc., empêchent ces personnes de tenir un récit et un discours conforme à ce que les officiers de protection ou les juges de la CNDA attendent. 

D’où l’importance, parmi les  recommandations de ce rapport, de former ces professionnels de l’asile au psychotrauma et à ses effets. Afin de ne plus générer de faux déboutés.