“La Réparation” des survivantes des Mutilations sexuelles Féminines

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Depuis les années 2000, un médecin urologue français a mis au point une opération de « chirurgie réparatrice » des mutilations sexuelles féminines, avec Jean-Antoine Robein, de la même profession. Il s’agit du Dr Pierre Foldes, qui continue son activité, à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines, en région parisienne[1]. Réservée aux femmes majeures, cette opération est appelée « transposition clitoridienne » [2].

Grâce aux formations réalisées par le Dr Pierre Foldes, de nombreux chirurgien.ne.s peuvent réaliser cette opération en France, comme à l’étranger. Ces dernières et ces derniers ont formé à leur tour d’autres praticien.ne.s. Aujourd’hui, cette technique est  pratiquée dans une vingtaine d’hôpitaux, en Île-de-France et dans différentes régions françaises, ainsi qu’en Europe et sur le continent Africain [3].

La chirurgienne ou le chirurgien (urologue ou gynécologue-obstétricien), effectue en général une anesthésie générale, puis rouvre la cicatrice de l’excision. Il coupe les ligaments suspenseurs maintenant le corps du clitoris contre l’os pubien. Puis, il “tire” sur le clitoris, afin d’en faire sortir une partie à l’extérieur. Il effectue alors des points de suture pour le maintenir à l’extérieur, et reconstruit ainsi un néo-gland clitoridien. Cette opération est prise en charge depuis 2003 par la Sécurité Sociale à hauteur du tiers payant, les mutuelles en remboursant le solde. La Couverture Maladie Universelle (CMU) et l’Aide Médicale d’Etat (AME) en couvre la totalité pour celles qui en bénéficient.

Si l’objectif des populations « excisantes » consiste à contrôler la sexualité féminine, cette chirurgie réparatrice permettrait de “retrouver” un clitoris fonctionnel sur le plan sexuel. Cette opération de reconstruction semble fonctionner, selon la majorité des femmes opérées[4]. Au niveau des principaux résultats, dans l’étude ci-référencée, les auteurs ont constaté que la principale motivation des intéressées est à plus de 60%, une demande identitaire, afin qu’elles puissent récupérer leur intégrité physique. Ils constatent également une diminution des dyspareunies d’intromission (douleurs génitales lors d’un rapport sexuel) de 49 % avant l’opération, à 8 % après ; ainsi qu’une régression assez nette de la sécheresse vaginale de 44 % à 18 %. Quant au plaisir sexuel, selon les déclarations des intéressées elles-mêmes, il y aurait une satisfaction supérieure de 52 % à 84 %. A ce jour nous manquons de grilles d’évaluation adaptées pour estimer scientifiquement ce taux de satisfaction.

Notons également qu’au même titre que les femmes non excisées, certaines ont plus ou moins de jouissance, de plaisir sexuel et d’orgasme, avant comme après l’opération.

De plus, selon notre expérience depuis 40 ans sur le terrain, il ne faut pas perdre de vue que la reconstruction physique   doit être complétée par un suivi psychologique et sexologique, du fait des traumatismes importants que laissent les mutilations sexuelles féminines et le continuum des violences à caractère sexuel et sexiste, dont la majorité des « survivantes » ont été victimes (agressions sexuelles, viols, mariages précoces et/ou forcés, parcours d’exil – avec tortures et autres actes de barbarie -, violences dans le couple, etc.).

C’est ce que démontre l’article « Intérêt de la prise en charge pluridisciplinaire des femmes excisées[5] » dans lequel une étude qualitative rétrospective est réalisée sur les prises en charge effectuées entre 2007 et 2012 dans l’Unité de soins des femmes excisées de l’Hôpital du Kremlin Bicêtre[6] où les patientes sont reçues par trois spécialistes : une gynécologue-obstétricienne, une victimologue-anthropologue, une psycho-sexologue. L’unité est ouverte à toute femme excisée, quelle que soit sa demande. Les femmes souhaitant une chirurgie clitoridienne rencontrent systématiquement les trois spécialistes. L’étude porte sur une population de 270 femmes qui ont demandé une chirurgie clitoridienne, en majorité âgées de 18 à 40 ans. Selon ses résultats, 86 femmes ont eu finalement recours à cette chirurgie, et la part de femmes qui la demandent, présentent un traumatisme sexuel très élevé, autre que l’excision. En conclusion, les auteures soulignent l’importance de la dimension psychotraumatique et relationnelle (conjugale – familiale) dans les problématiques présentées par les patientes. Elles indiquent que la « réparation » de l’excision ne peut être apportée par la seule chirurgie et nécessite un accompagnement médical, psychologique et sexologique.

Pour compléter cette compréhension de la nécessité d’une approche pluridisciplinaire de cette « réparation », dans l’article « Excision : entre clinique et droits humains », les auteures, citées précédemment, indiquent que ce sont surtout les dimensions psychotraumatiques de l’excision qui semblent avoir un impact négatif sur la sexualité des femmes excisées : les images invasives ou reviviscences, les comportements d’évitement, la honte et les discours stigmatisants. D’autres psychotraumatismes sexuels, tels que des violences sexuelles durant l’enfance (dont l’inceste) et les mariages forcés vont également influencer la vie sexuelle des femmes excisées.[7]

En outre, si de plus en plus de femmes victimes de mutilations sexuelles s’orientent vers cette intervention depuis que la chirurgie reconstructrice de l’excision a été développée en France, ce projet personnel demeure complexe. Il met en jeu les questions relevant de la sexualité, comme souligné précédemment, de la transmission d’une identité familiale et culturelle, tout cela dans un contexte de forte stigmatisation sociale. Cette démarche pourtant initialement individuelle va alors généralement constituer un levier important de la verbalisation de cette question au sein de la famille, et ce d’autant plus que cette mise en discours explicite participe finalement au processus même de réparation, entendu alors dans un sens très global. L’analyse de trajectoires de réparation de jeunes femmes ayant recouru à cette opération ou envisageant de la faire permet de mettre en évidence le caractère multidimensionnel de cette expérience sociale [8].

Les femmes et les professionnel.le.s sociaux et/ou de santé intéressées par une approche pluridisciplinaire de la “reconstruction” peuvent consulter utilement le site de la Fédération nationale GAMS : https://federationgams.org/wp-content/uploads/2020/01/Unit%C3%A9s-de-soins-aux-femmes-excis%C3%A9es-2020.pdf Enfin, certaines unités de soins pluridisciplinaires organisent régulièrement des réunions sur ce thème dans lesquelles il est possible de partager son expérience avec d’autres femmes déjà opérées ou souhaitant l’être.

Vignette Clinique :

S. est née au Sénégal et elle est d’origine Soninké. A l’âge de 5 ans, elle vient vivre en France, dans un foyer polygame, en banlieue parisienne. A 15 ans, elle réussit à échapper à un mariage précoce et forcé. Elle refuse d’avoir le même destin que ses cousines. Mais à 17 ans, à l’occasion d’une visite chez le gynécologue, ce dernier lui apprend qu’elle a été excisée et sa mère lui révèle que cela s’est déroulé, lorsqu’elle avait 3 mois. Une découverte qui va la conduire à plusieurs phases de dépression et d’hospitalisation en psychiatrie. Je l’ai rencontrée en 2017, âgée de 39 ans. Elle se posait beaucoup de questions sur « la réparation ». Elle ne savait pas si elle devait franchir le pas ou non. J’ai donc décidé de l’orienter sur l’Unité de Soins des Femmes Excisées du Kremlin-Bicêtre. A la suite de son parcours, elle a décidé finalement que la « transposition clitoridienne » ne répondait pas à ses attentes. En revanche, entre autres grâce à l’accompagnement proposé par cette Unité, cela lui a permis de se « réparer ». Aujourd’hui, c’est une jeune mariée épanouie et elle vient de mettre au monde une petite fille, qui « jamais ne sera assise sous le couteau »[9]

Isabelle GILLETTE-FAYE, Sociologue, Experte Séniore, Directrice Générale de la Fédération nationale GAMS


[1] PROLONGEAU Hubert, Victoire sur l’excision: Pierre Foldès, le chirurgien qui redonne espoir aux femmes mutilées, Albin Michel, Paris, 2006.

[2]  FOLDES Pierre, Chirurgie réparatrice de l’excision et des mutilations génitales féminines, DOIN Editions, 2013.

[3] Ce site internet recense, via une cartographie, tous les lieux où des praticien.ne.s exercent et proposent l’opération. Les indications qualitatives sont laissées à la libre appréciation des femmes « opérées » https://baadon.com/

[4] FOLDES Pierre, CUZIN Béatrice & ANDRO Armelle « Reconstructive surgery after female genital mutilation: a prospective cohort study », The Lancet, volume 380, No. 9837, 2012.

[5] Antonetti-Ndiaye Emmanuelle, FALL Sokhna et BELTRAN Laura, Journal de Gynécologie obstétrique et Biologie de la Reproduction, 44, 2015, pp. 862-869 http://dx.doi.org/10.1016/j.jgyn.2015.01.008

[6] Service de gynécologie-obstétrique, hôpital de Bicêtre, AP—HP, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France

[7]   Antonetti-Ndiaye Emmanuelle, FALL Sokhna et BELTRAN Laura, « Excision : entre clinique et droits humains », Sexologies, 2015, 24/3, pp. 122-127.

[8] Andro et al., « Excision et cheminement vers la réparation : une prise en charge chirurgicale entre expérience personnelle et dynamiques familiales », Sociétés contemporaines  2010/1 (n° 77), p. 139-161.

[9] En Bambara, « se faire exciser » se dit « s’asseoir sous le couteau ».