Le scoutisme pour favoriser l’autonomie des familles

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Depuis 2017, le Centre Primo Levi propose aux enfants et aux adolescents de participer à des activités de scoutisme. Initiée[1]par le biais de l’association SINGA avec Les Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France (EEUdF), cette collaboration s’inscrit dans une démarche d’accompagnement social.

« Karibu » signifie « accueil » en swahili. C’est aussi le nom d’une initiative qui vise à généraliser l’accueil d’enfants réfugiés dans les groupes scouts afin qu’ils puissent participer à des activités, rencontrer des jeunes de leur âge et bénéficier des nombreux bienfaits du scoutisme. Le projet s’inscrit dans le temps, ce qui permet de réintroduire de la continuité pour ces jeunes dont le parcours est jalonné de ruptures. C’est aussi l’occasion d’accompagner des familles dans une autre expérience de vie que celle dans laquelle ils sont placés en France, favorisant un travail d’autonomie et d’intégration.

Pour le service social, c’est une véritable rencontre car les valeurs éthiques sont partagées. Les Eclaireuses et Eclaireurs proposent une « école de l’identité », où chaque enfant est libre de s’épanouir dans le respect de lui-même et des autres. Les jeunes sont guidés à la fois dans leur cheminement  personnel et dans l’acquisition d’une autonomie à travers le soutien de leur curiosité, leur capacité d’analyse, leur volonté, etc. C’est finalement l’opportunité de leur faire découvrir une autre manière de se construire.

Comment « Karibu » a-t-il été pensé pour s’intégrer dans la clinique ?

Ouvert tout autant aux enfants suivis au centre de soins qu’aux enfants de patients quel que soit leur statut, ce projet implique d’être à l’écoute de la situation familiale car toutes ne sont pas prêtes à vivre une séparation. « Tout dépend de l’histoire de la famille, de son parcours, de ses conditions de vie. Se séparer de ses parents ne prend pas la même signification en fonction de la place que l’enfant se donne dans la famille, des responsabilités qu’il s’attribue compte-tenu des pertes vécues et de l’état émotionnel familial qu’il ressent » précise Olivier Jégou, assistant social au Centre Primo Levi. C’est donc en équipe que se discutent les propositions.

Par la suite, le service social prépare, accompagne ceux qui manifestent le désir de s’inscrire. Plusieurs réunions sont organisées avec les parents, les enfants, les unités des EEUdF, des Eclaireurs et Eclaireuses de France ainsi que des interprètes. Les réunions préparatoires sont l’occasion de questionner tout autant le dispositif que le déroulement des activités. Au-delà de l’aspect informatif et logistique, elles visent à sensibiliser les encadrants sur ce que l’expérience implique pour ces enfants, à les inciter à y être simplement attentifs et à apaiser les appréhensions qu’ils peuvent ressentir face à ces jeunes particulièrement vulnérables. Ce travail de médiation est réalisé dans le but de créer des liens entre la famille et les chefs d’équipe pour qu’à terme, ces actions se passent sans le Centre Primo Levi.

A l’issue de chaque week-end scout, des points sont effectués pour savoir si une séparation plus longue, à savoir le camp d’été de trois semaines, est envisageable ou s’il est préférable de rester sur des formats de courte durée. Parmi ces tentatives, certaines vont porter leurs fruits, d’autres non. Certains enfants partiront un week-end et iront jusqu’au camp d’été, d’autres préfèreront rester sur une journée d’activité. A l’été 2018, par exemple, une mère et son fils ont tous deux émis l’envie que celui-ci s’intègre au projet scout. A son retour du camp d’été, il est revenu en disant : « 2 semaines, c’est très long. Moi, je partirai à nouveau que si c’est une semaine ». Pour l’assistant social, l’important, c’est de pouvoir faire cette expérience : «  La séparation avec la maman était nécessaire, elle semblait prête, en demande, et lui aussi. Ce qu’il a vécu a pu être repris lors de son suivi psychologique au centre, conjointement à l’accompagnement social. Ce qui est intéressant, c’est de  travailler ce que cela amène, que cela puisse être déposé et discuté ensemble».

De la clinique en pratique

Retrouver une possibilité d’agir

Dans ce projet, les parents ne sont plus en position de destinataires passifs comme ils peuvent l’être  notamment dans la procédure d’asile. Ils se renseignent, posent des questions, expriment leurs inquiétudes… Cette posture leur permet d’élaborer une proposition à leur enfant. Ils arrivent avec une suggestion. La présentation d’une sortie fait circuler une parole différente entre les parents et les enfants. Ils vont parler d’autres sujets que ceux de l’école, des papiers, de l’hôtel. Partir en camp ou en week-end scout, c’est un projet de vacances, de loisir, de divertissement. Ils ne sont plus « réfugiés », « demandeurs d’asile » ou « migrants » mais des parents qui accompagnent leur enfant à une sortie.

Apprendre à se séparer

Un autre effet se situe au niveau du quotidien. Partir, c’est pouvoir se décoller les uns des autres car certains résident dans une précarité et une promiscuité très critiques. Les conditions en hôtel social, par exemple, ne permettent plus de délimiter les espaces de quiconque ; les subjectivités se mêlent sans pouvoir s’épanouir. Ces temps de séparation remettent de la distance, du mouvement entre les membres.

Cette année, une petite fille a pu partir un week-end grâce à la création d’un nouveau groupe. A l’issue de ce rassemblement, elle se met à raconter ce qu’elle a vécu à ses parents : un autre discours s’instaure alors. Elle rapporte ce qu’elle a aimé, les temps de chants, de jeux… Lorsque sa mère lui demande ce qu’elle a appris, elle répond « Ben, j’ai appris que je pouvais me débrouiller sans maman ! » Apprendre à se séparer, ce n’est pas rien. Savoir, pour un enfant, que c’est possible de vivre sans sa mère et se rendre compte que l’on est capable d’agir, d’exister en dehors du regard de l’autre, c’est important, en particulier pour ces enfants qui n’ont connu presque que la promiscuité et la dépendance.

Retrouver du désir

Pour une autre patiente qui vivait seule avec sa fille, la fatigue l’emportait. Elle était trop prise, trop envahie par son enfant au quotidien. Elle était littéralement « débordée » par cette relation duelle. Le fait que celle-ci parte en camp a suscité un état qui ne pouvait pas se produire dans la situation actuelle : une attente s’est fait ressentir. Sa fille lui a manqué. Dans cette suspension de liens s’est recréé du désir : « Elle va avoir des choses à me raconter », a-t-elle confié à son assistant social.

C’est aussi ce qui s’est passé pour Oscar. Arrivé seul en France, il a été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance à ses 17 ans. Alors que le terme de la prise en charge approchait, les travailleurs sociaux du centre de soins lui ont proposé d’expérimenter le scoutisme. Une révélation ! Cet espace lui a permis de se lier d’amitié avec d’autres jeunes de son âge ; il s’y est investi. Alors qu’il allait à nouveau être livré à lui-même, il trouve de nouveaux repères dans son unité. Puis, l’idée d’encadrer des jeunes à son tour chemine en lui. Oscar vient de passer son Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur. Bientôt, il pourra transmettre à son tour ce que le scoutisme lui a apporté.

Marie Daniès, rédactrice en chef


[1] Et soutenu par la fondation Ocirp dès la création.