Les enfants et la demande d’asile

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Entretien avec Aurélia Malhou, juriste au Centre Primo Levi.

Comment se passe la demande d’asile pour les enfants ?

Depuis le 1er janvier 2019, lorsqu’un parent fait une demande d’asile, ses enfants sont directement inclus dans la demande initiale s’ils sont tous arrivés ensemble. Aucun dossier n’est donc à constituer pour les enfants. Si le parent obtient le statut de réfugié, ses enfants en bénéficient de par la filiation et compte tenu des mêmes craintes de persécution. La demande est donc liée à celle des parents.

Cependant, il peut tout de même y avoir une demande spécifique pour les enfants qui ont des craintes propres, par exemple lorsqu’ils encourent des risques d’excision, de mariage forcé… Dans ce cas, une demande peut être réalisée à part, au nom de l’enfant. Le parent va alors représenter son enfant mineur, c’est donc lui qui sera convoqué pour l’enfant.

De nos jours, si un enfant arrivé en même temps que ses parents fait une demande d’asile en son nom propre, alors que les parents en ont déjà fait une qui a été rejetée, la demande de l’enfant est considérée comme une demande de réexamen, et ce malgré l’absence de prise en considération de ses propres craintes durant l’instruction de la demande d’asile de ses parents.

Dans le cas où l’enfant a des craintes propres et qu’il peut constituer un dossier en son nom, comment sa parole est-elle récoltée ?

À partir du moment où l’enfant est accompagné par un parent, c’est toujours l’adulte qui va porter la parole de l’enfant. Les enfants ne sont pas interrogés, que ce soit au Centre Primo Levi, lorsque je récolte le récit pour la demande d’asile ou lors de l’audition à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ou à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Tout comme ce sont les parents qui sont convoqués par l’administration ou la juridiction compétente, étant donné qu’ils sont les représentants légaux.

Et pour les mineurs non accompagnés, comment cela se passe-t-il ?

Depuis 2015, les agents de l’Ofpra sont formés à l’accompagnement des mineurs non accompagnés (MNA), considérés comme un public vulnérable par la directive européenne 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.   Ce personnel a donc été formé pour recevoir les mineurs et proposer une meilleure prise en compte de l’âge. En l’absence des parents, le représentant légal sera l’administrateur Ad Hoc désigné par le procureur de la république ou l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sur la base d’un jugement de tutelle par le juge aux affaires familiales. À moins qu’il énonce le contraire, le mineur est donc accompagné et reçu, si besoin, avec un interprète.

Quel statut demander pour protéger les mineurs non accompagnés ?

Ces jeunes sont souvent orientés vers la demande d’un titre de séjour, la demande d’asile étant rarement proposée. Un manque de sensibilisation, de la méfiance, de l’incertitude, la difficulté que représente la mise en récit n’encouragent pas les éducateurs ou les référents de l’ASE à aller vers cette procédure. Pourtant, c’est important d’informer ces jeunes sur l’existence de la demande d’asile afin qu’ils puissent faire un choix, d’autant que les deux démarches peuvent être réalisées quasi en même temps. D’abord, faire une demande d’asile et, rapidement après, faire une demande de titre de séjour. Notamment parce que le titre de séjour requiert la soumission de documents que le mineur n’a pas forcément en sa possession et qu’il faut demander auprès des autorités de son pays d’origine (passeport, acte de naissance…), mais aussi parce qu’il est préférable que la minorité du jeune puisse être prise en compte dans la demande d’asile. En France, un peu plus de 800 premières demandes d’asile ont été effectuées pour les MNA en 2021 (sur plus de 11 000[1] pris en charge en établissement par l’ASE pour cette même année), ce qui est peu. Surtout lorsque l’on sait qu’une majorité d’entre eux obtiennent le statut de réfugié !

Qu’est ce qui se passe en cas de réunification familiale ?

Lorsqu’un parent obtient un statut de réfugié ou une protection subsidiaire, il bénéficie du principe de l’unité de famille et pourra faire venir ses enfants en France par le biais de la procédure de réunification familiale. Une fois sur le territoire français, l’enfant aura le choix entre le statut d’étranger (et garde alors son passeport) ou la protection de l’Ofpra. Dans le cas où il choisit d’être protégé au même titre de que ses parents, un dossier en tant que mineur doit être obtenu près de la préfecture pour envoyer sa demande de statut de réfugié auprès de l’Ofpra. L’enfant n’aura pas d’entretien, sauf si des persécutions propres sont évoquées. Cette démarche est simple pour les enfants dont la filiation est avérée et prouvée, mais qu’en est-il pour ceux qui ont été pris en charge par le réfugié sans être son enfant biologique et très souvent sans jugement d’adoption ?

Il y a quelques années, j’ai suivi la procédure de réunification familiale d’un couple suivi au Centre Primo Levi. Les parents ont fui leur pays d’origine avec leurs enfants et un neveu dont la famille avait été décimée. Compte tenu de l’horreur de l’exil, les parents décident de laisser les enfants ensemble dans un des pays traversés, parcourant la suite du parcours migratoire seuls. En France, ils finissent par obtenir l’asile. Après des années de séparation, ils peuvent enfin procéder à une demande de réunification. Un accord a été obtenu pour tous les enfants qui ont pu rejoindre le territoire français. Tous… sauf pour le neveu qui a eu un refus de visa, car le jugement d’adoption présenté a été considéré comme non valable. Heureusement, le refus de visa a été annulé par le tribunal administratif de Nantes. La décision du tribunal va dans le sens de la requête avec injonction à délivrer le visa. Face à cette décision, le ministère de l’Intérieur décide de faire appel et sollicite une demande de surseoir, c’est-à-dire de suspendre la décision du jugement qui accorde le visa. Le tribunal administratif rejette la demande du ministère de l’Intérieur, même si l’appel ne peut être évité. En tout cas, selon la procédure, le consulat de France du pays dans lequel se trouve l’enfant doit s’exécuter et délivrer le visa. Actuellement, l’enfant n’a toujours pas de visa. Cela fait plus de 15 ans qu’ils sont séparés de leur enfant adopté. Cela fait des années que je suis cette famille et les accompagne dans l’espoir qu’ils puissent un jour être réunis. Comment fait ce jeune resté tout seul dans un pays tiers ? Cela questionne sur les effets de ces décisions administratives sur les enfants.

Penses-tu à d’autres situations ?

Lorsqu’un parent reçoit une décision de rejet de sa demande d’asile ou qu’un mineur non accompagné est reconnu comme majeur, cela a un impact. Pour l’adulte et ses enfants qui avaient jusqu’ici été hébergés dans le cadre du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, c’est une sortie du Centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA) en un mois. C’est tomber dans la précarité, c’est une scolarité qui devient plus compliquée, c’est rendre un enfant témoin de la détresse de ses parents parce qu’ils ne savent plus où aller. Si, depuis 2019, les démarches sont simplifiées car regroupées sur la demande des parents, la décision vaut, elle aussi, pour tout le monde : « la présente décision de rejet vaut également pour les enfants mineurs. » Or, un réexamen n’ouvre pas les mêmes droits qu’une première demande d’asile : pas d’accès à un hébergement, aux conditions matérielles d’accueil. Il faudrait trouver une manière de considérer l’intérêt de l’enfant lorsqu’il vit sur notre territoire.

Propos recueillis par Marie Daniès, rédactrice en chef


[1] Source : drees.solidarites-sante.gouv.fr