L’organisation citoyenne pour soutenir les migrants

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Depuis 2016, Cédric Herrou accueille sur son terrain des personnes en migration. Il a commencé l’accueil de façon totalement improvisée, avec très peu de moyens. Au fil des mois, l’accueil s’est organisé, et un véritable camp a vu le jour. Notre association DTC – Défends ta citoyenneté – a été créée à l’automne 2017 pour gérer le lieu. Des bénévoles plein temps sont présents, mais le camp est en autogestion : ce sont les demandeurs d’asile eux-mêmes qui gèrent les stocks de nourriture, préparent les repas, nettoient le camp, les couvertures, rangent les tentes, etc. Certains demandeurs d’asile ont décidé de rester vivre avec nous au camp jusqu’à la fin de leurs procédures (Dublin ou autre), et sont donc référents (ménage, cuisine, sanitaires, etc.). Les autres, de passage seulement, donnent un coup de main.

Il est important de noter que cette autogestion a été naturelle. Elle s’est créée au fil du temps, mais nous avons vite remarqué qu’elle était plus que nécessaire. Elle permettait de donner des rôles aux personnes vivant au camp, de leur donner une responsabilité. De leur faire comprendre qu’ils étaient importants – essentiels – au bon fonctionnement du lieu, au vivre-ensemble. Que leurs actions impactaient la communauté toute entière.Aussi anodin que cela puisse paraître, cette responsabilité occupe leur temps libre, leur permet de moins penser à leurs « problèmes », et les revalorise énormément : cela les soulage beaucoup.

A l’été 2017, Ali*, un jeune Sierra-Léonais de 19 ans, est arrivé au camp dans un état alarmant. Il avait été torturé à l’électricité en Libye et en gardait des séquelles importantes. Il était complètement traumatisé, il avait peur de tout. Son petit frère était mort sous ses yeux, il se remémorait la scène en boucle : il se balançait le buste d’avant en arrière, et semblait toujours ailleurs. Très vite, nous lui avons proposé de jouer le rôle d’intendant du camp, qu’il acceptait avec grand plaisir. Bien sûr, il s’entourait toujours de personnes (qu’il formait à son tour) pour le suppléer dans les tâches. Il était très fier d’être le cuisinier chef. Durant l’été 2017, il a préparé des repas pour près de 200 personnes en même temps ! Il allait beaucoup mieux, l’évolution était stupéfiante. Puis arriva la phase Dublin : comme beaucoup d’autres, il avait déposé ses empreintes à la sortie du bateau en Italie, et la préfecture des Alpes-Maritimes a demandé à ce qu’il retourne en Italie. Plus l’échéance approchait, plus son état se détériorait : il n’arrivait plus à gérer ses tâches quotidiennes, il ne dormait plus la nuit, ses maux de dos empiraient, il devenait paranoïaque. Un soir, je le retrouvai dans sa caravane pour discuter : il fondait en larmes dans mes bras, en me disant qu’il ne s’était jamais senti aussi mal de tout son voyage. Je bondissais : comment ?! Après avoir traversé le désert, après avoir été esclave en Libye, après avoir été torturé à l’électricité, après avoir vu son petit frère mourir devant lui, après avoir pris le bateau, parcouru tout ce chemin, comment un petit bout de papier avec écrit Dublin dessus, comment un petit retour en avion en Italie pouvait le mettre dans un tel état…? Et pourtant, cette histoire est loin d’être un cas isolé. Pour la majorité des demandeurs d’asile que nous avons connus, ce « petit retour en Italie » est une énorme marche arrière, et un traumatisme de plus.

A l’avenir, nous aimerions travailler sur l’accompagnement psychologique des personnes qui vivent au camp : mettre en place des séances tests avec des psychologues, voire des ethno-psychologues, des séances d’EMDR, de l’art thérapie, bref, tout ce qui pourrait les aider à vivre avec leurs traumatismes. Aujourd’hui, l’accompagnement psychologique est la dernière chose abordée quand on parle des demandeurs d’asile : le statut administratif et l’épineuse question Dublin, le manque de logement, les questions de l’intégration, de l’apprentissage du français et de l’accès au travail sont forcément en première ligne. Durant le moment de migration, de cheminement, les exilés se créent souvent une carapace, se blindent, pour pouvoir continuer d’avancer. Quand la migration s’arrête, il est difficile de savoir à quel moment il faut « ouvrir » la plaie. Parfois la carapace se brise d’elle-même, sans prévenir. La question que nous nous posons est : quand est-ce que ces personnes doivent avoir accès à un accompagnement psychologique, quand est-ce qu’elles peuvent y avoir accès, et par quels moyens ?

Marion Gachet, secrétaire de DTC (Défends ta citoyenneté)