La temporalité juridique des procédures amène un paradoxe : les patients sont confrontés à des délais raccourcis mais doivent attendre toujours plus longtemps pour obtenir un statut.
Oui il y a urgence à avoir une carte de séjour afin de s’intégrer, de travailler et de se sentir plus en sécurité ! Qui peut supporter de vivre dans cette situation ?
Bon nombre de patients que nous suivons au Centre Primo Levi sont dans l’attente d’une réponse de l’État français quant à leur demande d’asile ou de titre de séjour. Cette attente peut être très longue ; une attente parfois rythmée de plusieurs procédures, de plusieurs démarches qui paraissent sans fin compte tenu des demandes rejetées. Ces décisions administratives ayant un effet exécutoire[1] sur l’individu ; elles ne sont pas sans effet sur l’état de santé de la personne. Comment continuer à vivre, à tenir dans une société qui nous rejette ? Comment ne pas se sentir persona non grata ?
Tout comme nos collègues psychologues, médecins, en tant que juristes au centre de soins, nous ne travaillons pas dans l’urgence.
Cependant, au niveau juridique, lorsque le patient reçoit une décision de rejet de sa demande d’asile ou une mesure d’éloignement, il est important de le recevoir assez rapidement car cette situation est très angoissante. Il peut ne pas connaître ses droits mais la plupart du temps, il a bien conscience qu’il y a un recours possible dans un délai à respecter.
Il s’agit alors de tenter d’apaiser le patient et de lui expliquer la procédure pour contester la décision. Ce peut être pris en charge au Centre Primo Levi ou par un avocat grâce à une aide juridictionnelle.
Étonnamment au fil des lois, ces délais sont devenus de plus en plus courts pour des personnes étrangères, souvent isolées, sans ressources et qui accèdent par conséquent difficilement à un avocat. Par exemple, le délai pour envoyer la demande d’aide juridictionnelle devant la cour nationale du droit d’asile (CNDA) suite à un rejet de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est passé d’un mois à 15 jours avec la loi du 10 septembre 2018.
A chaque projet de loi sur le droit d’asile, le gouvernement tente de réduire le délai de recours contre la décision de l’OFPRA à 15 jours. Ce qui est mal connaitre les conditions de vie des personnes exilées qui sont souvent domiciliées dans des associations où elles ne peuvent récupérer leurs courriers qu’une à deux fois par semaine. Plus le délai de recours diminue, plus le risque de forclusion (hors délai) est élevé. Pourtant, l’enjeu est de taille pour elles, car il en va de leur protection !
Depuis ces 20 dernières années, l’objectif des gouvernements est d’accélérer les procédures. Dans le discours politique, il s’agit de ne pas trop faire attendre les demandeurs d’asiles, mais ce sont surtout des procédures trop couteuses selon l’État français. D’une manière générale, raccourcir les délais risque de diminuer la qualité du traitement de certaines demandes d’asile.
Le délai d’instruction des premières demandes de titre de séjour au niveau des préfectures a, quant à lui, fortement augmenté. Avec la numérisation des démarches administratives, il n’est plus possible d’accéder aux préfectures sans rendez-vous. Il faut souvent faire des demandes en ligne pour pouvoir en obtenir un ; ce qui peut durer plusieurs mois avant qu’une réponse ne soit donnée. Par ailleurs, Ce système rencontre souvent divers dysfonctionnements ponctuels.
Les personnes déjà bénéficiaires d’un titre de séjour sont également confrontées à ce problème d’accès aux préfectures et d’attente pour récupérer leur carte de séjour ou pour la renouveler. Comment faire face au désespoir du patient qui ne sait plus ce qu’il peut faire ? Il existe de tels dysfonctionnements qu’il est parfois nécessaire de saisir le tribunal en urgence par des référés pour que la préfecture réponde. Après de multiples relances sans réponse de l’administration, c’est la seule issue.
Au niveau juridique, la situation d’urgence qui nous mobilise le plus au Centre Primo Levi, c’est lorsqu’un patient est arrêté et emmené en centre de rétention administrative. Nous savons trop ce que cela peut avoir comme effet sur lui, même si, au final, il ne sera pas renvoyé dans son pays. Vivre de nouveau un enfermement rappelle aux patients leur vécu traumatique et les soumet à la menace d’être renvoyés dans leur pays où ils risquent la mort.
Aurélia Malhou, juriste
[1] C’est-à-dire que ces décisions ont un impact direct sur la situation de l’individu.