Prise en charge des violences sexuelles et de leurs effets

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Au sein de l’unité de soins pour les femmes victimes de violence de la Maison des Femmes de Saint-Denis, les sages-femmes réalisent des consultations obstétricales et gynécologiques. Au-delà du rôle clinique, elles coordonnent le parcours de soins au sein de la structure.

Les violences sexuelles attaquent profondément l’intimité et engendrent des conséquences graves sur la santé, notamment génésique. L’accompagnement dont a bénéficié Mme T. permet d’illustrer notre démarche thérapeutique.

Biographie

Mme T. est arrivée en France en avion en 2018 de Côte d’Ivoire avec un visa allemand. À 7 ans, elle a subi une excision et a été mariée à l’âge de 15 ans à un ami de la famille. Peu après ce mariage forcé, elle a été excisée une seconde fois au Mali.

Elle décrit avoir subi de la « torture conjugale » et en reste très marquée. Elle nous dira : « L’excision ça me fait moins mal car ils l’ont fait en pensant que c’était bien. Mais les violences conjugales, ça, c’était trop dur. Le sexe avec lui, c’était brutal. Je reste traumatisée des hommes, je ne peux plus leur faire confiance. Je pense que si j’avais été avec un homme normal, l’excision n’aurait même pas été un problème pour moi. »

De ce mariage forcé sont nés trois enfants dont une fille excisée à l’âge de 2 semaines. Elle a également eu une quatrième grossesse, interrompue par la mort du fœtus in utero, son mari ayant refusé de payer une césarienne indiquée pour la présence du cordon ombilical autour du cou du fœtus. Enfin, elle a fait une fausse couche qu’elle attribue aux coups reçus.

Les faits traumatiques subis sont longtemps restés indicibles.

Mme T. est demandeuse d’asile en procédure Dublin. Elle est hébergée dans un hôtel mais passe toutes ses journées chez des compatriotes car « Quand je suis toute seule ça ne va pas. »

Symptômes :

Elle décrit des troubles du sommeil (difficultés d’endormissement, cauchemars…) des pensées obsédantes et lancinantes concernant son devenir ainsi que celui de ses trois enfants restés au pays.

Elle a des terreurs continuelles, particulièrement devant des hommes et souffre d’un syndrome dissociatif qui l’amène à oublier tout ce qui a trait à la vie quotidienne. Elle rapporte des reviviscences concernant les violences conjugales et des hallucinations auditives. Elle présente également une dépression importante.

Mme T. a des métrorragies à répétition, des dysménorrhées (douleurs pendant les règles), des dorsalgies et des céphalées chroniques.

Elle ne souhaite pas de prise en charge de son excision : « Je ne veux plus qu’on me touche ».

Prise en charge :

Au sein de la Maison des Femmes, elle bénéficie tout d’abord d’une consultation par une sage-femme qui va entendre son récit et explorer l’anamnèse. Une contraception hormonale lui a été prescrite pour diminuer ses dysménorrhées. Progressivement, elle sera portée vers une psychothérapie et la prise d’un traitement médicamenteux. Elle rencontre aussi une gynécologue qui préconise plusieurs examens complémentaires et prescrit des anti-inflammatoires à visée antalgique.

Les différents examens complémentaires (bilan sanguin, frottis cervico‑vaginal, échographie pelvienne, hystéroscopie) reviennent quant à eux normaux.

Le traitement lui apporte un meilleur sommeil mais les autres symptômes du psycho‑traumatisme persistent.

Elle participe à des ateliers collectifs qui sont construits comme des soins de supports.

Elle a particulièrement investi l’atelier nommé « Réparer l’intime », animé par une artiste dessinatrice et créatrice de bijoux ainsi qu’une photographe. Les femmes sont invitées à créer des bijoux puis à être prises en photo avec. À partir de ce portrait, elles sont encouragées à dessiner leur autoportrait. Le fil conducteur est de se raconter de façon artistique en faisant appel à sa créativité, de tenter de faire la paix avec son histoire en sublimant les éléments positifs constitutifs de sa personne. L’objectif est d’aider les patientes à reprendre confiance en elles et à se voir positivement. C’est un moment d’échange, de partage de savoir-faire et d’entre-aide.

Mme T. assiste également régulièrement à un atelier de danse thérapie animé par une danseuse et chorégraphe. Il favorise une prise de conscience et un investissement de son corps, permet le travail d’isolation de différents membres et mobilise notamment le bassin. Ces techniques peuvent aider à la libération d’émotions et à la réappropriation de certaines zones corporelles endormies ou délaissées.

Mme T. a également beaucoup investi les groupes de parole sur l’excision et sur les violences conjugales. Elle dit de ces moments collectifs qu’ils « rechargent les batteries ».

En revanche, sa situation administrative aggrave ses symptômes. Elle est accompagnée par une avocate et une juriste, bénévoles au sein de notre structure, pour tenter de « dé-dubliner » sa demande d’asile. Même si elle peut dire qu’elle se sent davantage en sécurité en France qu’en Côte d’Ivoire, elle craint malgré tout d’être arrêtée par la police dans son hôtel et de ne plus être hébergée.

Quand elle parle de ses peurs, elle décrit une sensation d’oppression, une envie de crier, les pleurs la libèrent.

La prise en charge au sein de la Maison des femmes a plusieurs objectifs :

Tout d’abord prendre en compte la symptomatologie et y répondre par des soins médicaux et psychologiques. Les somaticiens ont des outils très complémentaires aux psychothérapeutes pour aider une personne victime à se re-positionner en être humain qui choisit. Nous nous appuyons sur le concept de thérapie du lien et de l’importance du savoir être. Evidemment, informer du déroulement et respecter le consentement à chaque étape de l’examen clinique est une démarche fondamentale.

Il y a également la mise à disposition des connaissances médicales via une démarche éducative. Nous leur expliquons particulièrement les conséquences des violences sur leur santé en tentant de déconstruire l’idée que les symptômes post-traumatiques sont devenus leurs traits de personnalité définitifs. En leur transmettant la stratégie des agresseurs, nous essayons de diminuer leur sentiment de honte et de culpabilité. En les informant sur les conséquences des violences conjugales sur les enfants, nous leur permettons de se mobiliser vers la sécurité.

ll y a aussi la mise à disposition d’outils d’auto‑soins et d’auto‑protection. Nous pouvons rédiger des certificats médicaux de contre-indications aux rapports sexuels pour qu’une femme victime de viols conjugaux identifie que ce qu’elle subit n’est pas normal et que « même quand c’est écrit sur un certificat, il le fait quand même ». Quand elle réalise cela et qu’elle le formalise elle-même, elle sort progressivement de l’emprise.

Quand le corps parle, nous avons une grande fenêtre d’opportunité pour soigner les causes de ces symptômes ou au moins faire cheminer la personne

Les autres objectifs de la Maison des Femmes sont de permettre aux femmes de se reconstruire une identité, de (re)trouver un sentiment d’appartenance à une communauté bientraitante. Mme T. me racontera que des participantes de l’atelier « Réparer l’intime » l’ont appelé quand elle n’y est pas venue à deux reprises.

Par ailleurs, encourager la parole et l’élaboration en temps individuel et collectif va permettre à ce que les évènements traumatisants puissent être progressivement intégrés par la psyché et ainsi, en diminuer graduellement la charge émotionnelle. L’identification à d’autres femmes leur permet de se sentir comprises et diminue le sentiment de solitude.

Enfin, la ré-humanisation est également étayée par l’accès aux droits administratifs et judiciaires grâce à l’accompagnement via une assistante sociale, une juriste et des avocates.

La coordination des parcours de reconstruction par la « care-manager » permet d’éviter un morcèlement de la prise en charge et essaie donc de contrer une grave conséquence des violences. L’utilisation d’un dossier partagé et l’application du principe de secret professionnel partagé aide à la réunification de la personne et permet de ne pas lui imposer de raconter plusieurs fois les scènes de violences.

Aujourd’hui Mme T. rapporte aller mieux. Pourtant sa situation administrative est dramatique depuis qu’elle ne s’est pas présentée à sa convocation à l’aéroport pour embarquer vers l’Allemagne, pays en charge de sa demande d’asile. 

Elle n’a toujours pas réussi à obtenir de certificat qui lui permettrait de bénéficier d’une aide alimentaire et renouvelle une demande de domiciliation administrative.

Cependant, elle a trouvé une manière de subvenir à ses besoins fondamentaux et sa CMU-C a été prolongée d’un an, lui permettant de bénéficier d’une prise médicale pluridisciplinaire.

Elle dit « Je vais mieux car je me sens aimée et acceptée. », « Ici j’ai retrouvé une famille. ». Elle commence chaque consultation en disant « Je remercie la Maison des Femmes, ici j’ai appris à parler de moi». Travailler et gagner sa vie est très valorisant pour elle.

Elle a débuté un travail thérapeutique autour de la sexualité avec le médecin sexologue. Pour Mme T. qui n’a jamais eu de rapport sexuel consenti, ce cheminement peut prendre du temps.

Elle positive sa démarche même si elle reste extrêmement inquiète pour ses enfants : « Quand je leur parle au téléphone, je me sens fière, fière d’être en vie pour eux et pour moi. ».

Mathilde Delespine, sage-femme

Coordinatrice de l’unité de soins pour les femmes victimes de violence

Maison des Femmes du Centre Hospitalier de Saint-Denis – GHT Plaine de France