Réunification familiale : galère, attente et suspicion (un droit mis à mal)

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Passée l’épreuve de la procédure d’asile, la réunification familiale – qui offre l’immense espoir de faire venir son conjoint ou ses enfants restés au pays – implique une replongée dans les méandres plus ou moins hostiles et absurdes de l’administration. La logique de suspicion perdure malgré la reconnaissance du besoin de protection, prolongeant d’autant l’attente et l’angoisse qu’il n’arrive quelque chose à ces « proches éloignés ».

Nombreuses sont les personnes réfugiées qui ont dû laisser un ou plusieurs membres de leur famille derrière elles au moment de fuir leur pays : c’est une des douloureuses pertes imposées par l’exil forcé.

La séparation familiale a souvent des effets destructeurs sur les personnes, notamment sur leur santé. Elle fait partie des facteurs pouvant entraîner une dépression ou des troubles du sommeil et du comportement alimentaire. Elle est d’autant plus douloureuse et anxiogène que les membres restés au pays ou dans un pays tiers sont souvent exposés aux violences et à la misère.

Du fait de ces effets, la séparation peut être un obstacle à l’intégration des personnes. Selon le Commissaire aux droits de l‘homme du Conseil de l‘Europe, « un réfugié préoccupé par le sort des membres de sa famille restés dans le pays d’origine aura souvent des difficultés à apprendre la langue de son pays d’accueil et à trouver du travail »[1].

Protégé par la Convention européenne des droits de l‘homme, le droit à la vie familiale peut dans une certaine mesure s’exercer, dans le cas des personnes réfugiées, grâce à la procédure de réunification familiale. Même si les deux termes sont souvent confondus, elle diffère du « regroupement familial », prévu pour les personnes étrangères disposant d’un titre de séjour ou d’une carte de résident.

En France, la réunification familiale est ouverte aux personnes titulaires du statut de réfugié ou apatrides, ainsi, depuis la réforme du 29 juillet 2015, qu’aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. Contrairement au regroupement familial, cette procédure n’est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement : on peut donc en principe en bénéficier dès l’obtention de la protection. Cependant, la « famille » est conçue dans un sens très restrictif, puisque la loi prévoit que la personne majeure puisse être rejointe sur le territoire français :

«1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel [elle] est lié[e] par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est antérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile ;

2° Par son concubin, âgé d’au moins dix-huit ans, avec lequel [elle] avait, avant la date d’introduction de sa demande d’asile, une vie commune suffisamment stable et continue ;

3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. »

Les enfants de plus de 19 ans, les fiancé(e)s et conjoints récents, les frères, les sœurs, les parents ne peuvent donc pas prétendre à la « réunification familiale », l’unique moyen pour eux étant de risquer le voyage hors des voies légales et s’ils parviennent à entrer en France, de déposer à leur tour une demande d’asile.

Quant aux réfugiés mineurs, ils peuvent également être rejoints par leurs parents, lesquels pourront être accompagnés, à partir du 1er janvier 2019, des frères et sœurs mineurs encore à leur charge.

Bien que la réunification familiale soit désormais inscrite dans la loi[2] et qu’elle ait été simplifiée et élargie par différentes mesures récentes, elle reste longue et difficile d’accès.

Alors que les demandes, jusqu’en 2015, devaient être initiées auprès du bureau des familles de réfugiés en France[3], elles se font maintenant directement depuis le pays où la famille se trouve : le traitement des demandes dépend donc, plus encore qu’avant, du bon vouloir des consulats d’ambassades. Avec certains, il peut s’agir d’un véritable parcours du combattant dans lequel les personnes sont à nouveau renvoyées à leur statut d’étranger indésirable, et soumises à nouveau à un regard de suspicion alors même qu’elles ont été reconnues réfugiées.

Les simples faits d’obtenir les informations sur leurs droits et sur la marche à suivre, de remplir le formulaire de demande de visa ou encore de décrocher un rendez-vous au consulat peuvent s’avérer des étapes longues et compliquées, à croire que tout est fait pour empêcher la procédure d’aboutir. Le coût constitue également un réel obstacle : il faut réussir à payer le visa (99€) et le passeport (280€ par exemple au consulat en RDC), sans compter le voyage.

Certains consulats méconnaissent les spécificités de la procédure, qu’ils confondent parfois avec celle du regroupement familial ; ils exigent alors des documents apostillés que les personnes réfugiées ne peuvent pas se procurer.

Censée durer 2 mois, la procédure peut être allongée à 8 mois en cas de vérification des documents d’état civil, ce qui en pratique se fait de plus en plus systématiquement, entraînant un allongement des délais bien souvent au-delà de ce délai. Preuve de la logique de suspicion qui perdure au-delà de l’obtention du statut, cette pratique est contradictoire avec le principe de l’asile : l’Etat français reconnaît d’une part qu’une personne est menacée de persécution et qu’elle ne peut se réclamer de la protection de son pays, et exige d’autre part, pour que cette personne puisse être rejointe par ses enfants et son conjoint(e), que ceux-ci se procurent des documents auprès des autorités dudit pays !

Dans le cas de certaines nationalités, tibétaine par exemple, les documents d’état civil sont impossibles à obtenir car les personnes se voient attribuer des prénoms chinois et se retrouvent en grande difficulté une fois sur le territoire d’autres Etats. Pour les familles afghanes, la réunification est rendue plus complexe encore du fait de l’accueil réservé aux femmes en ambassade.

Les refus de délivrance de visa, parfois sans justification, sont fréquents. Un couple suivi au Centre Primo Levi a dû fuir le Congo et laisser ses enfants en Angola : le voyage était trop dangereux et trop coûteux pour qu’ils partent aussi. Le couple obtient le statut de réfugié en France. Le mari retourne en Angola pour déposer une demande de visa pour les enfants. On ne le laisse pas déposer de demande pour le petit dernier, qui était en réalité un neveu recueilli suite à la mort du père et dont l’adoption n’avait pas abouti. La procédure est enclenchée pour les autres enfants, mais l’ambassade ne leur accorde finalement pas non plus le visa et refuse de rendre leurs documents d’état civil, déclarés faux bien qu’ils soient certifiés par les autorités congolaises. Avec l’aide de la juriste du Centre Primo Levi, la mère a donc déposé un recours gracieux devant la Commission des refus de visas et attend toujours la réponse. Elle n’a pas vu ses enfants depuis 2011.

Les situations kafkaiennes – qui prolongent l’attente, l’angoisse, la culpabilité et les doutes envahissant bien souvent les personnes – peuvent revêtir une cruauté toute particulière. Une femme ayant subi des persécutions et vu son mari mourir sous ses yeux demande un visa pour ses enfants, qu’elle non plus n’a pas pu emmener avec elle et qu’elle a dû confier à une sœur restée à Conakry. Le consulat leur refuse le visa, affirmant qu’il ne peut le leur accorder sans l’accord du père. La mère doit réexpliquer qu’il a été torturé et tué sur le sol guinéen. L’ambassade lui répond qu’il n’y a pas de persécutions en Guinée, et répète que sans cette signature, aucun visa ne sera délivré. Fin de la discussion et de l’espoir de cette mère de revoir bientôt ses enfants.

Faute d’accompagnement y compris par les associations qui sont rares à proposer leur aide dans ce champ, la plupart des personnes se retrouvent seules face au bon vouloir des autorités diplomatiques et consulaires, leur demande risquant de se perdre dans les méandres de l’administration et de n’aboutir jamais. Et même en cas d’accompagnement, l’absence de communication entre les aidants et les autorités peut avoir les mêmes conséquences. Le nombre de visas délivrés dans le cadre de la réunification familiale a d’ailleurs baissé en 2016 : pour environ 6 600 dossiers, seuls 3 782 visas ont été délivrés, contre 4150 visas pour 5 761 dossiers en 2015. Il s’agissait en premier lieu de familles syriennes (601), sri-lankaises (585), congolaises (466), bangladaises (239) et guinéennes (238)[4].

Passée l’épreuve de la procédure d’asile, la réunification familiale est une nouvelle épreuve administrative longue et difficile à affronter pour des personnes déjà très isolées et vulnérables. Ce sont parfois des années entières passées à tenter de faire venir un fils, une épouse à qui on n’a peut-être même pas eu le temps de dire au revoir. Des années qui peuvent se solder par le violent couperet du « non ». Comment dès lors se reconstruire dans un pays où on ne peut pas reconstituer sa cellule familiale, quand on n’a plus d’option pour espérer revoir un jour les proches laissés derrière soi et quand on vit dans l’angoisse qu’il leur arrive quelque chose ?

Joséphine Vuillard, responsable communication et plaidoyer au Centre Primo Levi


[1] « Réaliser le droit au regroupement familial des réfugiés en Europe », document thématique du Commissaire aux droits de l‘homme du Conseil de l‘Europe, 19 Juin 2017

[2] Depuis la réforme du 29 juillet 2015

[3] Appelé « bureau de Nantes », ce bureau est rattaché au Ministère de l’Intérieur

[4] “Les étrangers en France” en 2016, rapport de la Direction générale des étrangers en France au Parlement