Une identité sous contrôle

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Nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, taille, photographie, signature, empreintes : voici les éléments qui figurent sur la carte d’identité française, caractéristiques de notre identité légale et qui semblent se retrouver dans la plupart des autres pays du monde.

La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 reconnaît à chacun le droit d’avoir une identité. Celle-ci s’appuie avant tout sur un nom et un prénom donnés la plupart du temps par les parents à la naissance, et qui repose donc sur l’appartenance à une famille, inscrite officiellement dans un registre d’état civil. Ainsi, son enregistrement par l’État permet à chacun de revendiquer un certain nombre de droits, notamment grâce à l’établissement de documents (acte de naissance, carte d’identité, passeport), au-delà de sa famille, au-delà des frontières de son pays d’origine.

C’est un droit humain fondamental qui permet une existence légale et sociale reconnue par tous. Cependant, chaque année, des dizaines de millions de naissances ne sont pas enregistrées et des enfants sont privés de leur droit à une identité. Ils deviennent alors invisibles et objets de toutes sortes d’abus (travail, esclavagisme, enrôlement…).

Au centre Primo Levi, des patients sont souvent confrontés à la difficulté de prouver leur identité, surtout au niveau de leur âge et de leur origine.

Pour les mineurs étrangers qui se retrouvent isolés sur le territoire français se pose la question de leur état civil pour l’accès à une prise en charge par la Protection de l’enfance. Ils doivent prouver leur minorité. Bon nombre ont été enregistrés dès leur venue au monde, ce qui permet àcertains d’arriver en France avec leur acte de naissance, dont la validité peut en être contestée. Ils vont néanmoins être enregistrés en France avec le nom, le prénom, l’âge et l’origine qui figurent sur ce document ou, s’ils en sont dépourvus, sur la base de leurs déclarations. Dans ce dernier cas, il sera parfois difficile d’orthographier le nom et le prénom avec le passage d’une langue à l’autre et parce que, souvent, le mineur n’a jamais eu en sa possession un document d’identité. Est-ce pour autant qu’il n’a pas été déclaré à la naissance ? Certains arriveront à récupérer un acte d’état civil par l’intermédiaire de proches restés au pays. Pour les jeunes qui n’ont pas été déclarés à leur naissance, il est possible de saisir le juge français pour l’établissement d’un jugement déclaratif de naissance ou, pour ceux qui ne peuvent accéder à leur état civil (car ils n’ont aucun contact avec leur pays d’origine ou du fait de la destruction de leurs documents), de demander l’établissement d’un jugement supplétif d’acte de naissance.

Nombreux sont les patients du Centre Primo Levi qui fuient leur pays sans avoir sur eux un seul document à leur nom pour, justement, ne pas être identifiés en cas de contrôle. C’est souvent sous une autre identité qu’ils vont traverser les frontières. Arrivés en France, ils pourront demander l’asile avec leur identité d’origine même s’ils n’ont aucun « papier » à présenter. Il arrive que, mal conseillés et par peur, certains présentent leur demande d’asile avec une identité empruntée ou un alias. Cela peut cependant se corriger en cours de procédure en apportant des explications. En effet, l’administration ne peut exiger d’un réfugié une preuve matérielle de son identité, car c’est souvent dans la précipitation qu’il fuit son pays, et ses documents ont parfois été pris ou détruits par les autorités de son pays ou par la guerre.

Lors de l’entretien auquel ils seront convoqués à l’Office français de protection de réfugiés et apatrides (OFPRA), ceux qui demandent l’asile devront répondre à des questions pour prouver leur identité et qu’ils sont bien originaires de tel pays et de telle région, car les craintes de persécutions sont appréciées par rapport au pays dont la personne a la nationalité. Le nombre de questions portant sur la provenance s’avère être plus conséquent lorsque les demandeurs d’asile sont originaires des zones de conflits plus intenses (par exemple, dans certaines régions de l’Afghanistan avant l’arrivée des talibans, le Mali pour la région du nord et le centre du pays, l’Est de la République Démocratique du Congo, le Darfour, le Nil bleu au Soudan…) et le seul fait de provenir de cette région peut, au moins, ouvrir droit à une protection subsidiaire.

Il arrive, malheureusement, que la région d’origine soit mise en doute, ce qui peut être très violent pour la personne, car cela l’atteint personnellement. C’est justement un élément de son identité qui n’est pas reconnu. Ce qui a été le cas d’un très jeune patient afghan dépourvu de documents d’identité dont la provenance a été contestée par l’OFPRA parce qu’il n’a pas su bien répondre (à cause de son jeune âge, peut-être, et aussi parce qu’il ne s’attendait pas à cet interrogatoire) à certaines questions pour décrire sa ville et sa région. Par exemple, il n’a pu donner que deux noms des villages aux alentours ; il n’a pas su citer toutes les infrastructures qu’il y avait dans sa ville, ni le nom du gouverneur. Il fallait qu’il décrive son quartier, ce qu’il a pu tout de même faire. L’OFPRA a rejeté sa demande d’asile en se basant, entre autres, sur le fait que « si sa nationalité afghane n’était pas contestée, sa provenance de la province x ne saurait être établie au regard de ses déclarations sommaires et évasives au sujet de cette région, de la situation sécuritaire y prévalant… ». Dans le cadre du recours, j’ai pu aider ce jeune à donner davantage de précisions sur sa localité et son environnement, et, surtout, il a pu récupérer sa taskera (document d’identité afghan), ce qui lui a permis d’obtenir au moins la protection subsidiaire par une décision de la Cour nationale du droit d’asile.

Une fois la protection obtenue, la personne doit remettre tous les orignaux des documents d’identité en sa possession à l’OFPRA qui gère dorénavant l’état civil de la personne reconnue réfugiée. Elle ne change pas d’identité, mais il sera écrit sur sa carte de séjour qu’elle est réfugiée congolaise, par exemple.

Il n’est pas toujours évident pour elle de se séparer de ces documents qui ont parfois été très difficiles à obtenir et qui constituent souvent le seul élément qui lui reste de son pays, de ses parents, de sa vie d’avant…

Et pour ceux qui ont été déboutés de leur demande d’asile et qui craignent un contrôle d’identité, comment peuvent-ils faire ?

En France, est-on obligé d’avoir une carte d’identité ?

Selon le site officiel de l’administration française, « non, aucun texte ne vous oblige à avoir une carte d’identité. Néanmoins, si vous êtes soumis à un contrôle d’identité, la procédure sera plus longue si vous ne pouvez pas présenter de pièce d’identité. Par ailleurs, pour la plupart des démarches, il faut prouver son identité. Si vous n’avez aucun titre d’identité, vous risquez donc d’avoir des difficultés. Ànoterla carte d’identité, tout comme le passeport, vous permet de justifier de votre identité, mais aussi de votre nationalité française ».

Imaginons dans quelle situation peuvent se trouver les patients du Centre Primo Levi démunis de tout document et qui sont en situation irrégulière. Être étrangers devient comme un nouvel élément de leur identité. Ils craignent à tout moment un contrôle par la police française qui les mettrait à découvert, car être étranger peut les conduire à un autre contrôle qui est celui de la régularité de leur séjour. Même si cette mesure policière est très encadrée par la loi, elle peut se faire à tout moment et n’importe où, venant alors raviver les menaces déjà vécues. Ils préfèrent souvent ne pas garder justement leurs documents sur eux, mais, malheureusement, il reste les empreintes enregistrées par l’administration s’ils ont déjà fait une démarche… C’est donc aussi le corps qui fait identité et qui est sous contrôle.

Aurélia Malhou, juriste

La reconnaissance de son village d’origine Faute de pouvoir prouver l’existence de leur lieu de naissance rayé de la carte géographique par les massacres qui règnent depuis 2003, les personnes provenant de l’Ouest du Darfour peuvent se retrouver déboutées de leur demande d’asile. Par sa connaissance de ce territoire et ses travaux cartographiques, Marie-José Tubiana, ethnologue, parvient à apporter la preuve attendue. D’une part, son travail de documentation permet la reconnaissance d’un village disparu et d’autre part, participe à ce que l’OFPRA ou la CNDA en fassent de même. Au-delà de la légitimation du propos d’une personne provenant de cette région, ce travail de reconstitution vient-il soutenir une continuité dans son identité ?