Le 26 juin 1987, la ” Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ” entrait en vigueur. Malgré le quasi-consensus officiel qui entoure ce texte (162 Etats l’ont ratifié ou y ont adhéré), le bilan, trente ans après, est loin d’être réjouissant.
LA FRANCE REFOULE, DÉBOUTE ET EXCLUT DES VICTIMES DE TORTURE
Parmi les réfugiés qui fuient leur pays, beaucoup ont subi des actes de torture ou de violence politique extrême. Dans le premier état des lieux publié en 2012, le Centre Primo Levi estimait que 125 000 d’entre eux étaient exilés sur notre sol. Aujourd’hui, ils seraient 137 000 – un calcul a minima qui ne comprend pas les membres de l’entourage, sur lesquels les traumatismes rejaillissent pourtant inévitablement.
L’article 3 de la Convention contre la torture énonce que :
“Aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.”
Pourtant, des dizaines de milliers de personnes se voient chaque année refuser l’entrée sur le territoire français, y compris des ressortissants de pays en guerre.
Par ailleurs, de nombreuses personnes victimes de torture voient leur demande d’asile rejetée, malgré parfois des preuves explicites des persécutions subies et des menaces encourues. Les rapports Persécutés au pays, déboutés en France publié par le Centre Primo Levi en novembre 2016 et Proving torture publié conjointement par l’ONG britannique Freedom from torture mettaient en avant les difficultés que ces personnes ont à faire entendre leur récit et à “emporter la conviction” des juges de l’asile, puisque c’est à cet exercice qu’elles sont soumises.
Absentes des politiques de santé publique, les personnes victimes de torture disposent uniquement des 6 200 places existant dans l’ensemble des 8 centres de soins spécialisés en France, dont celui du Centre Primo Levi… soit moins de 5 places pour 100 personnes.
LA TORTURE TOUJOURS PRATIQUÉE DANS UN PAYS SUR DEUX
D’après les observations de terrain faites par Amnesty international et l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, plus d’un pays sur deux pratique encore aujourd’hui la torture de façon institutionnelle ou du moins impunie. Par ailleurs, l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides note dans son rapport d’activité 2016 que certaines formes de “torture privée” émanant de tortionnaires non étatiques (groupes armés ou miliciens), dont les premières victimes sont les migrants sur les routes de l’exil, “ont pris une ampleur croissante depuis quelques années”.
En 22 ans d’existence, le centre de soins Primo Levi a accueilli et soigné des personnes victimes de torture issues de plus de 95 pays différents. “Nous sommes les témoins de ce que les guerres et les violences d’Etat produisent sur les individus, et notre expérience ne nous porte malheureusement pas à être très optimistes pour la suite”, affirme Sibel Agrali, cofondatrice et directrice du centre de soins.
LA TORTURE DE PLUS EN PLUS ACCEPTÉE
Dans le contexte actuel marqué par la lutte contre le terrorisme, il est intéressant de remettre en lumière cette précision, qui suit et renforce, dans le texte de la Convention, le principe d’interdiction absolue de la torture :
“Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.” (article 2)
Cet acquis fondamental est aujourd’hui profondément ébranlé, y compris dans nos sociétés occidentales qui se veulent pourtant des modèles en matière de respect des droits humains. A plusieurs reprises, le nouveau président des Etats-Unis s’est ainsi positionné en faveur de la torture. Un sondage commandé par l’Acat à l’IFOP en avril 2016 révélait quant à lui que 36% des Français acceptent le recours à la torture dans des circonstances exceptionnelles, contre 25% en 2000.
Ce, en dépit des études qui démontrent ce que le bon sens suffit à nous apprendre : que la torture est inefficace. Le scénario de la torture pratiquée pour obtenir des informations fiables est davantage le fruit de fantasmes surexploités par les cinéastes que le reflet d’une quelconque réalité. Un rapport de la commission d’enquête du Sénat américain a d’ailleurs confirmé que la torture n’a jamais fait ses preuves.
En ce trentième anniversaire, le Centre Primo Levi souhaite ainsi souligner que le combat contre la pratique de la torture et pour le soutien des victimes est plus que jamais d’actualité.
A propos de la Convention contre la torture (texte intégral)
Adoptée en 1984 et entrée en vigueur en 1987, elle pose d’une part une définition :
“Le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite” (article 1);
et d’autre part un principe fondamental :
“Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction.” (article 2)
A ce jour, 162 Etats ont ratifié ou adhéré à cette convention, les derniers notables en date étant le Rwanda en 2008, le Pakistan en 2010, les Emirats arabes unis en 2012, la Guinée en 2013, la République centrafricaine en 2016 et les Comores il y a à peine quelques semaines.
En 1997, l’Assemblée générale des Nations Unies proclamait le 26 juin Journée internationale des Nations unies pour le soutien aux victimes de la torture.