Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky est la nouvelle présidente du Centre Primo Levi, un mandat qu’elle inaugure dans un contexte clivé socialement et politiquement, qui implique de porter encore plus fort le message de notre association.
Quel est le lien entre votre parcours et le Centre Primo Levi ?
J’ai une formation d’anthropologue et de psychologue. Très vite, les questions d’exclusion sociale m’ont intéressée, notamment en Inde, où j’ai fait ma thèse, et ensuite au Brésil, où j’ai travaillé quelques années. Dans ces deux pays, les fractures sociales, la vulnérabilité économique, la misère, les discriminations de caste et de race, mais aussi les représentations de l’exclu sont très fortes. Je me suis beaucoup questionnée, en tant qu’anthropologue, sur la manière dont le sujet se positionnait ou vivait les formes de grande exclusion sociale.
Je suis entrée en 2010 à l’hôpital Avicenne, situé à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, comme psychologue clinicienne pour travailler avec des populations migrantes. C’était une demande de ma part d’intégrer une consultation de psycho traumatisme. A ce moment-là, le Centre Primo Levi s’est imposé comme un compagnon de route. Nous avons les mêmes engagements envers une population qui est laminée socialement et politiquement, dont la dignité humaine est très fortement effractée. Le message principal du Centre est de lutter contre une violence politique qui vient écraser la personne. Son message clinique est que la force de la parole parvient, en réanimant la possibilité d’une adresse et d’une écoute humaines, à refaire lien, à refaire ancrage, à refaire du commun.
Enfin, depuis 4 ans, je suis aussi directrice de l’Institut Convergences Migrations, un consortium de 8 instituts de recherche dont le Cnrs, qui fédère 800 chercheurs spécialistes des migrations. J’ai donc deux casquettes, l’une d’enseignant-chercheur (Inalco, Cnrs) et la seconde de clinicienne, qui sont très complémentaires.
Comment abordez-vous cette présidence dans un contexte clivé socialement et politiquement, notamment sur la question de la migration ?
Le contexte actuel est adverse, effectivement. La question de la reconnaissance politique de la voix de l’opprimé est complexe dans nos sociétés, et elle n’est pas nouvelle. Elle se retrouve à chaque moment de l’Histoire et s’est cristallisée sur la question migratoire aujourd’hui en France. Il y a actuellement un ensemble de discours, de paradigmes qui non seulement sont populistes, discriminants, clivants, mais qui en plus animent une parole obscène et voyeuriste, parfois même de nos dirigeants, dans un monde où toutes les paroles se valent. Je le dis d’autant plus en tant qu’universitaire, où la parole scientifique n’est pas plus entendue qu’une autre. Il y a aussi très concrètement un contexte financier qui n’est pas du tout favorable, notamment pour une association comme le Centre Primo Levi, qui est identifiée comme un centre engagé avec des valeurs humanistes fortes. Cela représente, bien sûr, un immense atout. Mais l’époque est aux chiffres, à l’impact immédiatement mesurable, et la thématique migratoire est moins porteuse que d’autres. Cela a des conséquences directes pour notre Centre dans notre recherche de financements, avec une concurrence accrue entre associations et projets. Nous devons être réactifs, présents et savoir nous renouveler. Et face à cette situation, je retiens l’enseignement des grands humanistes, « je me révolte, donc nous sommes » disait Albert Camus, cette résistance est une des forces du Centre et elle est d’abord dans ce passage de l’action individuelle à l’élan collectif.
Est-on à un moment clé de la vie du Centre ?
Oui. Je pense que nous sommes à un moment de bascule, que nous ne sommes pas seuls à vivre. Beaucoup de partenaires associatifs engagés sur le soin des exilés le vivent. Cela nous oblige à réagir. Le Centre va avoir 30 ans. En tant qu’anthropologue, j’observe que cela représente une génération. Un renouvellement est aussi un signe de vitalité, et cela se traduira par de nouvelles modalités d’action. La question de la santé mentale en France, devenue cause nationale, implique d’être créatifs, de dialoguer avec d’autres acteurs, notamment associatifs. Face à la difficulté générale qui pèse sur les associations comme les nôtres, nous allons travailler ensemble parce que nous nous inscrivons dans un paysage où les besoins sont importants. Le soin très qualitatif dispensé par le Centre Primo Levi est essentiel, notre transmission est essentielle, notre message est essentiel. Nous devons nous développer en travaillant avec le plus de monde possible, sans perdre notre indépendance.
En tant que nouvelle présidente, avec un conseil d’administration renouvelé, que souhaitez-vous mettre en place ?
Ma chance est d’être entourée par un conseil d’administration renouvelé avec des personnes qui connaissent extrêmement bien leur domaine, qu’il s’agisse de la santé, du logement, du fonctionnement associatif, de l’accompagnement juridique, etc. J’aimerais engager le Centre dans trois directions : tout d’abord le développement du soin, qui est le cœur de notre association. Le Centre Primo Levi a vocation à se déployer en se centrant sur son premier métier, le soin aux exilés victimes de violences politiques.Il faut ensuite que nous réussissions à former et transmettre davantage, que ce soit des soignants ou des partenaires associatifs, au niveau national. Nous devons être identifiés comme un acteur essentiel de l’accompagnement des personnes exilées victimes de psychotrauma. Et enfin, il est important de porter notre message, avec d’autres partenaires, en repensant également notre action de plaidoyer. Il est très frappant de voir à quel point le message de Primo Levi, de Charlotte Delbo, de Jorge Semprun ou d’Aaron Applefeld, est contemporain. Cela nous fait réfléchir aux formes renouvelées de violences que nous sommes en train de vivre. Nous portons le nom de Primo Levi et cela nous engage dans notre responsabilité.