En 2020, le Centre Primo Levi a soigné et accompagné 81 mineurs, soit 22 % de sa patientèle. Parmi les 62 nouveaux patients accueillis dans l’année, 23 étaient mineurs dont 11 vivant en famille et 12 non accompagnés. La vie des plus jeunes est, comme celle des adultes, mise en péril dans de nombreux pays d’origine ainsi que sur les routes migratoires. Le Centre Primo Levi constate et déplore l’ampleur des conséquences des situations d’insécurité géopolitique sur la santé mentale des enfants.
L’espace enfants-adolescents
Les enfants ayant été victimes ou témoins de violences politiques présentent généralement des symptômes non spécifiques : désordres scolaires, troubles de la concentration, énurésie (fuite urinaire nocturne), cauchemars… Les troubles de l’interaction sont le plus souvent observés chez les bébés. La symptomatologie traumatique des adolescents est très proche de celle des adultes, de l’ordre de la dépression, parfois accompagnée de dissociations et d’hallucinations.
Pour traiter ces psychopathologies et garantir aux mineurs un temps loin des préoccupations de leurs parents, dont ils sont inévitablement affectés, un accueil spécifique leur est réservé au Centre Primo Levi. En effet, dans l’exil et lors des expériences vécues par la famille s’opère très souvent un effacement de la lisière entre âge adulte et enfance. L’indépendance et la singularité de chaque membre de la famille peuvent être comme perdues au profit d’une indifférenciation des espaces, d’une disparition de la frontière entre l’intime, le personnel, le privé et le public comme conséquence de la guerre, de l’exil et de la violence.
Pour que cette frontière qui n’existe plus dans la plupart des régimes totalitaires ou des pays en guerre -facteur d’une violence décuplée- se reforme dans les relations de nos jeunes patients, le Centre Primo Levi a décidé de créer au sein de son centre de soins un espace enfants-adolescents, qui soit propre et appartienne aux jeunes suivis et non à leurs parents ni aux proches qui les accompagnent. Cet espace réunit cinq psychologues cliniciens et accueille chaque année plus de 80 enfants et jeunes, filles et garçons, vivant seuls (non accompagnés) ou en famille.
L’accompagnement psychologique des enfants exilés, un enjeu majeur
De nombreux enjeux sont liés aux conséquences de l’exil chez les enfants, qui sont confrontés à la perte de leurs repères culturels, communautaires, linguistiques et environnementaux et dont les familles connaissent une grande précarité financière, sanitaire et sociale.
Il se dégage alors l’importance du repérage des symptômes de l’enfant et de sa famille par les professionnels, nécessaire pour orienter l’enfant vers une prise en charge adaptée. Ce repérage peut être effectué par les psychologues scolaires et pédopsychiatres de la Protection maternelle infantile (PMI), ainsi que par les éducateurs intervenant dans les Centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Présents en première ligne, ces professionnels ne sont pas toujours sensibilisés aux problématiques de l’exil et du psychotrauma et peuvent nécessiter un étayage adapté afin de répondre au mieux aux manifestations des troubles psychologiques chez l’enfant. À cela s’ajoutent l’importance de mobiliser des interprètes professionnels, pour pouvoir adapter la prise en charge aux besoins de chaque enfant, et la nécessité de travailler en réseau, en lien étroit avec les différents intervenants mobilisés autour de l’enfant afin d’instaurer un suivi cohérent.
L’accompagnement pluridisciplinaire pendant le confinement du printemps 2020
Au Centre Primo Levi, l’accompagnement pluridisciplinaire mettant en relation parents et écoles d’un côté, et psychologues et assistantes sociales du Centre Primo Levi de l’autre, a été essentiel pendant le premier confinement lié à la crise sanitaire, de mars à mai 2020. Pour un certain nombre de familles, cet isolement contraint a réactivé des situations difficiles et douloureuses en résonance avec le passé (situations d’enfermement forcé, conflits armés, bombardements). On a pu noter une résurgence d’angoisses et de divers symptômes, qui parfois commençaient à se dissiper chez les enfants accompagnés avant la crise, associée à tout un ensemble de contraintes extérieures comme l’exiguïté des logements, le décrochage scolaire ou l’environnement familial. Si la période de confinement a rendu difficile le maintien de l’accompagnement des enfants suivis au Centre Primo Levi, le lien a été soigneusement entretenu, ce qui a facilité la reprise du suivi dès sa réouverture.
Les mineurs non accompagnés
Le Centre Primo Levi a accueilli 30 mineurs non accompagnés en 2020, soit près de 38% des mineurs suivis au centre de soins. La violence a fait irruption très tôt dans la vie de ces jeunes. Violence physique, psychologique, émotionnelle, leur parcours a pour beaucoup été criblé de pertes ou de séparations forcées. Les épreuves rencontrées sur le chemin de l’exil, la confrontation à la mort et à la maltraitance, nouent et renforcent davantage les traumatismes, laissant derrière elles des séquelles douloureuses et profondes. Marqués par le poids des relations rencontrées en chemin, sur lesquelles ils se sont construits, les mineurs non accompagnés sont sans cesse en proie au doute quant à l’image qu’ils renvoient et à la confiance qu’ils peuvent accorder. Pour une partie d’entre eux, l’accueil est, encore aujourd’hui, trop aléatoire.
Nos recommandations :
Fort de son expérience, le Centre Primo Levi appelle les institutions compétentes à :
– Inclure les enfants exilés ayant vécu des violences dans leur pays d’origine ou sur les routes de l’exil dans les politiques de santé publique, notamment dans les plans de santé mentale.
– Encourager la production de données épidémiologiques concernant les enfants victimes de guerre et de violences, exilés sur notre territoire, afin de leur proposer une prise en charge adaptée sur le plan médico-psychologique.
– Créer et soutenir des réseaux d’accompagnement des enfants exilés, et faciliter le travail en réseau interdisciplinaire, alliant suivi médico-psychologique et accompagnement par les enseignants afin d’assurer un suivi cohérent dans la durée.
– Encourager et soutenir, à long terme, une pratique plus systématique du recours à l’interprétariat professionnel, dans le respect des recommandations de la Haute Autorité de Santé.
– Former le personnel des structures publiques à la clinique du traumatisme :
Sensibiliser et proposer des formations aux professionnels travaillant auprès des enfants, en particulier dans les écoles, crèches, centres de Protection maternelle et infantile (PMI), maisons d’enfants à caractère social (MECS) et centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ;
Intégrer dans les études de médecine et cursus de formation des professionnels du secteur médico-social des modules consacrés à la prise en charge des populations exilées ;
Promouvoir la pluridisciplinarité (soins médico-psychologiques, accompagnement social et juridique) et des temps de consultations adaptés aux réalités et besoins des enfants victimes de violence politique.
– Augmenter les capacités d’accueil des services de prise en charge en santé mentale de droit commun afin qu’ils puissent absorber l’ensemble des besoins en santé mentale des jeunes présents sur le territoire français.
– Développer des activités d’« aller-vers » en direction des mineurs non accompagnés afin d’évaluer leurs besoins en santé mentale et faire prévaloir leur minorité sur leur situation d’étranger dans l’accès aux droits.