« Notre politique de l’asile a atteint ses limites. Pour la préserver, je dirais même pour la sauver, il nous faut la réformer. Profondément. Qu’en est-il exactement ? Il ne se passe pas une journée sans que l’actualité, à travers les médias locaux, régionaux ou nationaux ne rappellent, le plus souvent de façon dramatique, l’inefficacité de notre système actuel : accueil dégradé, saturation de nos dispositifs d’hébergement, files d’attentes interminables des demandeurs d’asile devant les préfectures, ou encore occupations illicites de bâtiments, quand ce n’est pas simplement errance de familles dans l’espace public. »
Ces phrases ne sont pas tirées du discours prononcé le 12 juillet par Edouard Philippe, mais de celui prononcé le 15 juillet 2013 par Manuel Valls, alors Ministre de l’Intérieur. Deux discours presque en tous points identiques, à quatre ans d’intervalle.
La reprise du leitmotiv « fermeté et humanité », entendu à plusieurs reprises depuis la formation de notre nouveau gouvernement, était déjà de mauvais augure. Le discours sécuritaire de Gérard Collomb de juin dernier à Calais n’était pas sans rappeler ceux du précédent quinquennat. Mais le sentiment de « déjà vu » a trouvé hier son point d’achèvement dans les paroles de notre actuel Premier ministre, qui fait les mêmes constats, utilise les mêmes éléments de langage et tire les mêmes propositions que Manuel Valls il y a quatre ans.
Pour la dose d’humanité, placée en première partie de discours, tous deux proposent la création de nouvelles places d’hébergement : M. Valls avait annoncé 9 500 places pour les réfugiés et les demandeurs d’asile et 1 500 pour les migrants en transit, M. Philippe en annonce 7 500. Des comptes d’apothicaire toujours bien en-deçà des besoins, et dont on peut penser que l’objectif est davantage de contrôler que de protéger.
Pour la dose de fermeté, tous deux proposent le renvoi systématique des personnes déboutées du droit d’asile, qu’ils considèrent comme des migrants économiques. Un sujet d’inquiétude particulière pour nos associations qui constatent que parmi les déboutés se trouve un grand nombre de personnes dont la vie est véritablement menacée dans leur pays ; des personnes traumatisées qui n’ont pas emporté la conviction des officiers, souvent parce que dans les temps courts impartis, elles n’ont pas réussi à parler des événements qu’elles ont fuis (1).
Car il faut du temps pour accueillir le récit d’une personne brisée par la violence. Sans ce temps et sans une écoute bienveillante, elle risque de passer à côté de l’exigence de crédibilité et de cohérence imposée par la procédure d’asile. C’est pourquoi la réduction des délais d’instruction des demandes, prônée par notre nouveau gouvernement comme par le précédent, est encore une mesure problématique : comme celle du renvoi des déboutés, elle est de nature à plaire au plus grand nombre, mais cache en réalité un risque grave, celui de la dégradation de la qualité d’examen des demandes, au détriment des droits des demandeurs et éventuellement au risque de leur vie.
Encore une fois, nous avons donc eu droit à un cocktail savamment dosé pour déminer ce sujet politiquement explosif. « Il n’y a pas de vision, constate Eléonore Morel, directrice générale du Centre Primo Levi. Seulement une redite de propositions qui prétendent traiter le problème par ses conséquences et qui laissent encore une fois de côté la question du soin, qui devrait pourtant être au cœur d’une politique d’accueil digne de ce nom. »
(1) Voir le rapport « Persécutés au pays, déboutés en France » publié par le Centre Primo Levi en novembre 2016.