Les Hommes
Il y a des hommes Qui viennent d’ici, qui viennent d’ailleurs Tourmentés, ...
Don et dette.
Don sonne bien, don sonne comme le bon, dette sonne mal, dette sonne comme la bête.
Le bon et la bête.
Ils sont figés dans une dualité où chacun doit rester à sa place
Le bienfaiteur d’un côté qui est une bonne personne et de l’autre celui qui reçoit et doit se trouver redevable.
Cette dualité, ce duel, crée des déséquilibres dans les relations entre les personnes et dans la société.
« Tu me dois tout », « Après tout ce que j’ai fait pour toi » ;
« Les pays riches, les pays pauvres », « Les premiers de cordée, les assistés ».
C’est une vision purement comptable des choses, partielle, et à dessein souvent partiale car elle permet d’asseoir la domination de celui qui peut donner sur celui qui a besoin de recevoir.
Il est en fait question ici de pouvoir et inévitablement d’abus de pouvoir, qui est l’antichambre de la violence.
l n’y a qu’une lettre de différence entre « rendre service » et « rendre servile » et cette proximité phonétique, cette étymologie commune, sont une invitation à penser le don de façon contre-intuitive, non pas comme une « bonne action » mais comme une manière d’asservir l’autre en l’enchaînant avec des actes bénéfiques qui sont autant de dettes.
Comment, dès lors, au Centre Primo Levi qui est le lieu qui soigne la violence politique éviter de reproduire, dans un paradoxe douloureux, des mécanismes de prise de pouvoir sur des patients très précaires ? Comment soutenir sans aliéner ?
La réponse, c’est Elise Plessis et Pauline Langlade, les assistantes sociales du centre, qui nous la donnent, cette réponse c’est la reconnaissance.
Elles expliquent qu’au-delà du geste, au-delà du don, il s’agit en fait de remettre en route les liens avec de la reconnaissance mutuelle.
Cette reconnaissance se produit dans un mécanisme de circulation de la dette ou encore de compensation permanente entre le don et la dette.
« Aide-moi à t’aider » avait dit l’Abbé Pierre : c’est bien de cela qu’il s’agit, de la recherche d’un équilibre dans la relation, d’un partage, d’une égalité entre deux dignités qui se lient, ici à l’occasion du soin.
Paul Ricœur aussi nous aide à réfléchir quand il dit : « La reconnaissance consiste à trouver la juste distance avec un autre. »
Distance, ce mot prend tout son sens au Centre Primo Levi : distance géographique, distance sociale, distance linguistique, distance sanitaire, distance éthique entre le soignant et le patient. Tout est distance au Centre Primo Levi alors même que nous affirmons régulièrement être « au plus près » de nos patients.
Mais quelle est la bonne distance ?
C’est la distance juste, ni trop loin, ni trop proche. La circulation de la reconnaissance doit être ajustée et équitable.
C’est une exigence d’autant plus forte pour nos soignants qui sont engagés dans une relation qui peut être déséquilibrée alors même qu’il s’agit de rendre à nos patients leur équilibre.
La notion de « juste distance » nous offre un mode d’emploi symbolique pour une éthique du soin.
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