Psychologue clinicien au Centre Primo Levi, Jacky Roptin est confronté quotidiennement aux effets de la guerre sur les personnes qui, réfugiées en France, ont fui les conflits de leur pays d’origine. Il en évoque ici quelques aspects.
Est-ce qu’il existe un psycho-traumatisme spécifique à la guerre ?
Je ne sais pas si on peut parler d’« un » psycho-traumatisme de guerre, mais il est possible de distinguer une spécificité des souffrances liées à la guerre car on y trouve un élément supplémentaire majeur : la question de l’intentionnalité.
Dans la guerre, il y a l’intention de faire de l’autre l’objet de toutes les violences.
Cette dimension est celle qui atteint le plus nos patients, qui ont le sentiment d’être profondément touchés dans ce qui fonde le lien social. Cela laisse de profondes marques et il n’est plus possible de se lier aux autres de la même manière.
Pourquoi les personnes qui ont fui la guerre en ressentent-elles toujours les effets, même en sécurité ?
Le trauma reste « actuel » et demeure incommunicable comme expérience. De plus, à l’arrivée dans le pays d’exil, il faut « tenir » : la personne est dans l’urgence, prise dans le quotidien. Il faut donc beaucoup de temps pour prendre la mesure de ce qui s’est passé. Les risques d’effondrement face à la prise de conscience des événements sont réels. De même, parler de soi, alors que les événements continuent là-bas et que d’autres au pays souffrent dans leur corps, dans leur réalité, est souvent considéré comme une faiblesse morale face aux souffrances de ses compatriotes.
Il y a fréquemment un sentiment de honte très fort, également, d’avoir été obligé de fuir, de se retrouver dans cette condition d’exilé ou de réfugié. C’est probablement pourquoi aujourd’hui peu de réfugiés ukrainiens sollicitent une prise en charge.
Comment les enfants et adolescents sont-ils affectés par les conflits ?
Face au surgissement de la guerre, voire de la question de la mort dans la réalité, des différences apparaissent fonction de l’âge. Les tout-petits vont être concentrés quasi exclusivement sur les parents, dont la présence ou l’absence préfigurera déjà des effets psychiques d’un contexte de guerre chez eux.
Les enfants plus âgés vont surtout être préoccupés par ce qu’ils pourraient perdre, les objets, leur maison qui deviennent des marqueurs d’une certaine sécurité psychique liée à la question de la permanence. Pour les adolescents, l’enjeu réside peut-être dans une perte plus singulière, celle des rêves, des espoirs, des idéaux qui parcourent cette période si particulière de la vie.
La guerre va mettre un point d’arrêt brutal à ce moment, très important en temps normal, d’ouverture et de projection de la sortie de l’univers familial. C’est pour eux d’une grande violence, dont les effets peuvent être très variables, qui vont de l’effondrement à la révolte, avec leur cortège de troubles associés.