Quel droit d’asile pour les femmes exilées ?

L’exil des femmes a changé. Autrefois vouée à une posture d’accompagnante, la femme se lance de plus en plus seule sur les chemins, brutaux, de l’exil. Comment le droit d’asile en France envisage-t-il cette nouvelle pratique ?

Pour cela, il convient de faire un pas de côté et de comprendre en quoi le droit d’asile a changé en France, pour les femmes comme pour les hommes. Avant les années 70, le droit d’asile, tel que prévu par la Convention de Genève en 1951, était réservé aux personnes craignant des persécutions pour des événements survenus en Europe. Puis, le protocole du 4 octobre 1967 (signé par la France) introduit une extension du dispositif d’asile, tous les ressortissants non européens pouvant alors le solliciter et se voir désormais reconnaître le statut de réfugiés pour des événements survenus après les années 50.

En France, l’arrivée de réfugiés, notamment en provenance du Chili, du Vietnam, contribue à construire une image du réfugié politique légitimement accueilli. Les années 70 et 80 voient le contexte se modifier grandement pour les demandeuses et demandeurs d’asile : diminution du risque de guerre en Europe, atténuation de la guerre froide, augmentation de l’immigration économique. Le discours idéologique, la subjectivité politique qui régissaient l’exil laissent alors la place à la prise en compte de la vulnérabilité, individuelle, de l’exilée et de l’exilé dont la figure va se confondre de plus en plus avec celle du migrant.

Des politiques de plus en plus restrictives en matière d’asile, ainsi que des discours toujours plus sécuritaires, vont ainsi se développer. Durant cette période de déclin de la figure politique de l’exilée et de l’exilé, celle-ci va glisser progressivement dans le champ de la migration. On se méfie du migrant, comme on se méfie aussi de celle ou celui qui va demander l’asile. La chercheuse Karen Akoka parle de l’« ennoblissement [de l’asile] à mesure que l’immigration est devenue illégitime ». Il y a l’idée de préserver l’asile, donc en le limitant pour lui donner une sorte d’exclusivité. Car selon Karen Akoka, « cet ennoblissement est un corollaire des politiques d’immigration restrictives. On ne peut jamais vraiment penser les politiques de l’asile sans penser immigration ».

Pour la demandeuse d’asile, le début de la procédure passe par un formulaire de plusieurs pages à remplir en français dans un délai de 21 jours. Elle doit y préciser les éléments de son identité, le nom de ses parents, son ethnie, sa religion, son adresse au pays, si elle a des enfants… Puis, à la dernière page, il lui est demandé d’indiquer « les motifs de sa demande. Pour quelles raisons sollicitez-vous l’asile ? Veuillez exposer par un récit personnalisé les événements à l’origine de votre départ, ainsi que vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine. Il n’est pas nécessaire d’évoquer la situation générale de votre pays d’origine, qui est connue de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Vous pouvez joindre tous les éléments que vous jugez utiles à l’appui de votre demande ».

À la suite de la réforme du droit d’asile entrée en vigueur en novembre 2015, cet intitulé (présenté ici dans sa nouvelle version) est un peu moins exigeant envers la demandeuse d’asile. Serait-ce pour mieux tenir compte de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve la personne qui vient d’arriver en France ? Avec ses traumatismes, ses problèmes de mémoire et de concentration qui l’empêchent de dire ou d’être précise ? Sauf qu’aucune impasse ne doit être faite. La personne devra être précise lors de l’entretien avec l’officier de protection, il faut convaincre. Un « je ne sais pas » ou une présentation laconique peuvent avoir des conséquences négatives sur l’acceptation de la demande.

Pourtant, il reste un angle mort : la violence pendant le parcours

A ce moment, la demandeuse d’asile est dans une situation paradoxale : elle doit parler de ce qu’elle tente d’oublier, de la disparition de ses proches, d’amis… Or, ce récit, qui est très singularisé, offre parfois une caisse de résonance au sentiment de culpabilité qui anime les personnes exilées et qui est un des principaux déclencheurs de leur souffrance. La personne se trouve alors sur une ligne de crête du récit, entre un processus de vérification des faits et sa vérité subjective, le risque de dissonance est réel. Que peut alors dire la demandeuse d’asile, que peut-elle s’autoriser ? Pour les patientes du Centre, il est très difficile de séparer psychiquement ce qui relève de l’histoire événementielle bien cartographiée sollicitée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de leur histoire plus intime. La préparation du récit, d’abord à l’écrit, puis à l’oral, est extrêmement importante, l’accompagnement pluridisciplinaire aussi, mais cela reste rare pour la majorité des demandeuses d’asile. Ce modèle de récit, cette nécessité de répondre à l’histoire événementielle vécue dans le pays d’origine que demandent les autorités françaises correspondent-ils encore à l’expérience de l’exil des femmes ? La jurisprudence a certes évolué, la protection des femmes s’est renforcée, la violence liée au genre est un motif de demande d’asile et est mieux prise en compte. Pourtant, il reste un angle mort : la violence pendant le parcours. Celle-ci est, nous l’avons vu, quasi systématique, quelle que soit la route empruntée par les femmes exilées et, en très grande majorité, liée à la violence sexuelle. Avec des bagages lestés par le trauma, ces femmes se présentent devant l’administration et la justice française. Elles sont alors, pour beaucoup, incapables de s’exprimer et de dérouler un discours fluide, convaincant, attendu notamment de la part de militantes politiques exilées. Elles n’arrivent pas à se hisser à la hauteur de cet asile « méritant ». Les agressions sont néanmoins abordées pendant l’entretien, le parcours est questionné, ainsi que le trauma qui en résulte, mais ils ne pèseront pas dans la décision d’octroi ou de rejet de la demande. Ou à la seule condition que les violences subies pendant le parcours fassent courir un risque à la personne si elle retourne dans son pays. Un retour qui n’est, de toute manière, que très rarement envisagé. Les femmes qui quittent leur pays le font car elles n’ont plus le choix si elles veulent continuer à vivre.