A l’école de l’imaginaire

« Il était une fois un garçon qui aimerait tellement aller dans la nature voir des animaux, des arbres et tellement d’autres choses mais le pauvre petit garçon n’avait pas les moyens d’aller au zoo pour voir les animaux mais il pouvait aller dans la forêt car la forêt était gratuite. Un jour, le petit garçon sortit jouer avec ses amis et il avait imaginé trouver plein de pièces d’or pour nourrir leur famille et aller visiter tout ce qu’ils veulent. Mais soudain… »

« Il était une fois un lion. Ce lion, c’est un roi des animaux. Le roi, il a fait des choses bien pour les animaux. Mais un jour, il a trouvé un crocodile et le crocodile il croit qu’il pouvait être un roi. Mais c’est faux, c’est le lion. Et le lion va trouver un nom pour la forêt. Le crocodile est en colère. Le lion a vu que le crocodile déteste le nom. Le nom c’était : « Loiydone » avec la signature du lion. Les animaux trouvent que c’est génial. Mais pas le crocodile, et le lion l’a mis en prison. Le lion est venu le voir et il a demandé de rester en prison… »

« Il était une fois une petite fille qui s’appelait Clara. Elle vole avec son ami l’oiseau. Elle a des pouvoirs magiques qui lui permettent de voler. Le vélo les suit en roulant tout seul. Une maison qui marche comme un robot rencontre la petite fille et l’oiseau… »

Ces textes et quelques autres sont nés de l’imaginaire de huit enfants qui, en avril dernier, ont participé à un premier atelier d’écriture au Centre Primo Levi. A la suite du succès de ce « projet pilote », un atelier régulier sera lancé mercredi 12 octobre 2016 pour les enfants (ou les enfants de parents) suivis au centre de soins, grâce au financement de la fondation Seligmann. Il se fera sur 12 séances réparties sur trois moments de l’année.

Un espace de loisir et de création pour des enfants aux parcours chaotiques

Les traumatismes vécus par ces enfants qui ont été témoins parfois de scènes de violence extrême et qui ont fui leur pays avec leurs parents, ainsi que le parcours chaotique auquel ils ont été confrontés par la suite ont un fort impact sur leur développement personnel. Le silence qui les entoure aussi. Souvent, ces enfants ne s’autorisent pas à exprimer leurs souffrances car ils ont peur de faire du mal à leur(s) parent(s) ou de perdre leur amour. Ils présentent des troubles relationnels et comportementaux plus ou moins importants – anxiété, isolement, repli sur soi, ou au contraire agitation, voire agressivité épisodique. Ils sont également marqués par une profonde tristesse et un manque de confiance en eux.

C’est de ces constats qu’est née l’idée d’un atelier d’expression, conçu comme un lieu de loisir et de création, un espace où toutes les idées peuvent prendre forme, un terrain d’exploration et d’expérimentation, en dehors de tous enjeux extérieurs, de la vie scolaire ou familiale. Cet atelier, c’est à la fois un temps de partage avec les autres enfants et un temps pour eux, pour éprouver du plaisir.

Un enfant qui parvient à s’exprimer librement dans des activités créatives est un enfant qui s’ouvre, s’épanouit et qui prend confiance en lui. C’est aussi un enfant qui apprend à se connaître, qui découvre ses goûts, ses capacités, qui se construit.

Ni jugement, ni interprétation

Claire Lecoeuvre, présidente de l’association « A l’école de l’imaginaire », est l’une des animatrices de cet atelier. « Nous ne sommes pas là pour faire de la psychologie ou étudier les comportements des enfants. Nous souhaitons apporter un espace de liberté pour que chaque enfant prenne sa place. Les productions écrites et dessinées valorisent beaucoup leurs capacités à inventer une histoire, leur imagination. Ils en sont très fiers. Ils se réapproprient la langue par le jeu – une langue souvent synonyme d’échec scolaire ou de difficultés. » Les deux intervenantes privilégient l’apprentissage autonome, partant des propres idées des enfants afin qu’ils soient acteurs et non réceptacles.

« En seulement trois séances, nous avons vu certains enfants s’ouvrir littéralement : Marina[1], par exemple, une petite fille ukrainienne, ne s’est mise à parler qu’à la deuxième séance ; à la troisième, elle est arrivée avec d’autres dessins qu’elles avait faits chez elle, et elle s’est mise à participer vraiment. A l’inverse, nous avons eu quelques inquiétudes au tout début à propos d’un petit garçon qui était particulièrement agité. Finalement, il s’est montré très attentif et a participé avec enthousiasme ! ».

Une petite cour de Babel

Aucun critère lié au niveau de français ou de scolarisation n’est appliqué : la seule base du volontariat compte. « Tous ne parlaient pas bien le français, mais c’est justement intéressant de valoriser leurs différences culturelles et linguistiques, de travailler sur le sens que prend un mot pour les uns et les autres. Dans un premier temps, chacun s’exprime et crée dans la langue qu’il veut, puis dans un deuxième temps on utilise une langue à peu près commune au groupe – en l’occurrence le français. »

L’association « A l’école de l’imaginaire »

A partir de l’idée de ces ateliers d’écriture qui visent à offrir aux enfants un espace de liberté et à leur donner des clés pour s’exprimer, organiser leurs pensées et construire un récit, l’association « A l’école de l’imaginaire » a développé un programme progressif sur un an.
Le projet, débuté en septembre 2014 avec trois classes d’écoles parisiennes du 10ème et du 20ème arrondissement de Paris, s’est poursuivi trois mois dans deux camps de réfugiés au Burundi puis encore trois mois en Haïti dans une bibliothèque, une école et un centre d’accueil d’enfants à Jacmel et dans ses environs. Plusieurs animateurs, enseignants ont aussi été formés pour perpétuer les ateliers selon la pédagogie de l’association.
Pourquoi l’école de l’imaginaire ? « Parce que nous avons tous besoin de nous dépasser, de transcender nos peurs, nos désirs, et que la création est un moyen d’expression pour tous. Attiser l’imaginaire de chacun permet les petits miracles du quotidien. Plusieurs chercheurs et organismes humanitaires réfléchissent actuellement sur l’importance de la prise en compte de la culture et de l’imaginaire en temps de crise humanitaire, après les besoins vitaux. »

En savoir plus sur l’association : www.alecoledelimaginaire.com.

dessins

Dessins réalisés au cours du projet pilote en avril 2016.

[1] Le prénom a été changé.