Attaque de Villeurbanne : le suivi psychologique complexe des réfugiés

Publié dans Le Parisien.

L’attaque au couteau de Villeurbanne (Rhône), samedi, a coûté la vie à Timothy, 19 ans, et blessé huit personnes. Elle a aussi relancé la polémique ou la réflexion, selon les sensibilités, sur l’accès des migrants aux structures d’aide de soins psychologiques et psychiatriques.

D’après les premières expertises, l’agresseur présumé, un Afghan d’une trentaine d’années, souffrait d’un état psychotique assorti de délires paranoïdes. Bénéficiaire d’une carte de séjour et placé sous le statut de protection subsidiaire depuis 2018 selon une information de l’AFP, il ne présentait pourtant aucun antécédent psychiatrique connu.

Pas de suivi psy pour le suspect

« Cette personne a fait l’objet d’un entretien en février 2019 mené par nos services », nous révèle Jean-François Ploquin, directeur général de Forum réfugiés, en charge de la gestion du centre d’hébergement pour réfugiés de Vaulx-en-Velin (Rhône) dans lequel séjournait l’individu.

« Aucun élément n’est apparu laissant à penser qu’un suivi psychologique et encore moins psychiatrique était nécessaire. Un simple problème de malnutrition avait été identifié, et il avait alors été orienté vers un médecin généraliste, mais il ne s’était pas rendu au rendez-vous. Par la suite, il s’est montré très peu assidu aux cours de français et aux rendez-vous de suivi. Il dormait beaucoup, consommait régulièrement du cannabis. Mais aucun fait de violence n’avait été relevé jusqu’à présent. Il avait seulement l’habitude de s’énerver sans raison apparente contre les portes. »

Dans les rapports de Forum réfugiés, le jeune homme était même décrit ces derniers mois comme « doux, gentil, réservé, discret ».

Malades déracinés

Cette attaque, qui n’a pas été confiée au parquet antiterroriste, n’est pas sans précédent. À Düsseldorf (Allemagne) par exemple, un Kosovar souffrant de « schizophrénie paranoïde » avait blessé neuf personnes lors d’une attaque à la hache en mars 2017. Mais comment, dans de telles circonstances, établir un lien entre l’accès de folie criminelle et la précarité sociale de son auteur ?

« Un psychotique, autrement dit un fou, est dans cet état pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa situation sociale, pose Eric Sandnanz, psychologue clinicien au centre Primo-Levi, une structure d’aide aux réfugiés basé à Paris qui traite 350 personnes chaque année. D’ailleurs, leur proportion n’est pas plus élevée chez les migrants que dans le reste de la population française. »

Reste tout de même une particularité propre à ces malades déracinés. « Ces personnes sont ouvertes à tous les bruits qui les entourent, poursuit ce psychologue spécialisé. Elles n’ont plus d’enveloppe. Elles doivent redéfinir chaque matin leur propre identité comme le monde qui les entoure. Comment je m’appelle ? Où j’habite ? Ce sont comme des forteresses vides. »

Syndromes de stress post-traumatique

Ces extrémités psychiatriques ne disent rien, toutefois, du quotidien vécu par l’essentiel des réfugiés et apatrides (plus de 122 000 demandeurs d’asile en France en 2018), victimes de troubles massifs du sommeil, de la concentration ou de la mémoire et gênés par la barrière de la langue.

Thierry Baubet, chef du service de psychopathologie de l’enfant au sein de l’hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis), est à leur contact. « Ces populations ont souvent vu et vécu le pire dans leurs pays d’origine et au cours de leur périple : la violence physique et psychologique, la torture, le viol sans oublier la mort tragique de leurs proches », expose-t-il. Difficile pour ne pas dire impossible dans ces conditions d’échapper aux syndromes de stress post-traumatique.

Sophie Vandentorren, ex-chercheuse à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), a posé la loupe en 2016 sur les mères et enfants migrants, sans domicile, en Île-de-France. « Un tiers des mamans souffrait de dépression plus ou moins sévère, deux tiers de stress extrême, et certaines cumulaient les deux maladies », soupèse-t-elle. « Dans l’idéal, il faudrait procéder à un examen psychologique approfondi de tous les demandeurs d’asile, enchaîne Thierry Baubet. Mais dans ce domaine, les moyens et les ressources humaines sont tellement faibles… »