Bernard Jomier, médecin et maire-adjoint à la santé

Bernard-Jomier

Quel rôle avez-vous eu dans la création du Centre Primo Levi ?

En 1994, j’étais responsable de la commission médicale d’Amnesty International. Plusieurs psychologues travaillaient à la commission médicale et avaient acquis une expérience du soin aux victimes de torture et de violences politiques au sein de l’Avre. Mais il manquait un lieu de prise en charge globale : nous avons donc commencé à réfléchir à sa création.

Il fallait que ce lieu bénéficie à la fois de l’expertise et du savoir-faire de nos psychologues, mais également d’une approche pluridisciplinaire. Nous voulions soigner mais aussi parler, témoigner, informer et former. C’est pour cela qu’avec Médecins du Monde, Juristes sans frontières et l’Acat, nous avons pensé ce projet commun pour redonner un avenir aux victimes de violence politique.

L’Association Primo Levi n’est pas le projet d’une seule volonté. Elle est vraiment née d’une idée collective qui s’est imposée comme une évidence : nous devions agir pour mieux accueillir et soigner les réfugiés politiques qui frappaient à nos portes.

Même si les liens entre l’association Primo Levi et ses organismes fondateurs sont restés très forts, cela n’a pas empêché l’émergence de l’identité propre du centre. C’est une identité métissée qui a émergé, nourrie des apports des uns et des autres, et en premier lieu de l’incroyable équipe de psychologues de Trêve.

Depuis que vous êtes entré en politique, avez-vous gardé un pied dans le milieu associatif et/ou médical ?

Lorsque j’ai été élu dans le XIXe arrondissement de Paris en 2001, j’ai continué mon exercice de médecin généraliste dans un quartier du XIXe. J’ai aussi choisi de travailler pendant 3 ans dans un centre de soins pour SDF, puis en hospitalisation à domicile. Depuis mon élection comme Maire-adjoint de Paris, je continue dans le même cabinet de groupe, même si j’ai dû réduire mon activité. Je suis resté adhérent de Médecins du monde, que j’ai rejoint en 1996. Il y a pour moi un continuum évident entre ma vie professionnelle et associative et mon engagement politique. Toujours soigner et témoigner pour réduire les inégalités, les injustices là où elles apparaissent. Et se rappeler le message de Primo Levi : Si c’est un homme

De quel œil voyez-vous l’accueil des demandeurs d’asile aujourd’hui en France ?

Depuis cet été, l’Europe et la France voient arriver un flux de réfugiés inédit depuis la seconde guerre mondiale. Après avoir dit « niet » à un effort de solidarité européenne réclamé par la Grèce et l’Italie, l’Etat a choisi dans un premier temps les évacuations forcées au mépris de la dignité des personnes et des principes humanitaires et juridiques qui régissent le droit d’asile.

Cette politique répressive, en l’absence notamment de lieux pérennes d’accueil, de prise en charge et d’hébergement, a immédiatement conduit à multiplier les campements « sauvages » dans les rues de Paris (Pajol, Jardins d’Eole), aggravant la précarité et les problèmes de santé des personnes. Face à cet échec prévisible, 11 000 places ont été promises par le Ministre de l’intérieur pour répondre à l’urgence. Mais pour le malheur des migrants et de leurs défenseurs, le gouvernement les distille toujours au compte-goutte.

Cette inertie n’a pas permis jusqu’aujourd’hui de mettre en place une politique cohérente et efficace à la hauteur des enjeux. Il manque encore les cadres d’une politique qui fasse le choix de solutions humaines, notamment par la création partout sur le territoire, dans les départements, les villes, les arrondissements, de nouveaux dispositifs d’accès aux droits (et à l’asile en premier lieu) et de nouvelles petites structures, à taille humaine et efficaces. Nous avons besoin de lieux qui permettent de ne pas saturer les dispositifs d’hébergement d’urgence classique pour SDF et de ne pas opposer deux populations qui n’ont qu’un seul point commun : le dénuement.

Il est temps de reconnaître, comme vient de le faire Angela Merkel en Allemagne, que la question des réfugiés est une question politique majeure pour nos pays.

Actuellement, les collectivités locales, placées en première en ligne, doivent se débrouiller avec un Etat trop peu présent, et les habitants des quartiers populaires se retrouvent bien seuls face à ce drame.

La solidarité dont les habitants des quartiers du nord-est parisien font preuve malgré le sous-équipement public et leurs conditions socio-économiques dégradées est un immense espoir pour notre pays. Mais elle ne suffit pas à faire oublier les carences d’un gouvernement incapable de prendre ses responsabilités. A quel prix ? Au prix d’une fracture profonde avec les valeurs humaines de solidarité, d’une terrible blessure infligée à l’image de la France en Europe et dans le monde et d’une déstabilisation profonde de quartiers fragiles et parfois en tensions.

A l’échelle nationale comme à l’échelle locale, la question des migrants représente un véritable enjeu de santé publique. Comment envisagez-vous de faire face à ce défi ?

La santé de ces migrants est un enjeu prioritaire. Jusqu’ici, nous y répondions par des interventions ponctuelles organisées avec les hôpitaux et le secteur associatif, en particulier Médecins du Monde. Depuis le 20 juillet, à ma demande et pour la première fois, les centres de santé de la Ville s’impliquent directement dans la prise en charge sanitaire des migrants en les recevant pour des bilans complets. Cette mobilisation générale est indispensable comme devrait l’être celle de l’assurance maladie pour ouvrir sans tarder les droits à la CMU ou à l’AME des migrants. Car nous ne pouvons soigner dans de bonnes conditions sans l’ouverture de ces droits.

Je n’oublie pas, bien sûr, que les conditions terribles qu’ont traversé les migrants impacteront durablement leur santé psychique. Et donc que nous devons nous préparer à leur apporter des réponses durables alors même que les lieux de prise en charge compétents sont déjà saturés. La question des moyens est posée, et là aussi nous avons, Etat et collectivités territoriales, des responsabilités communes.