Tribune publiée sur Médiapart
Par une décision du 14 février 2023, la Cour nationale du droit d’asile rejetait la demande d’asile d’un requérant afghan en raison de ses « troubles psychotiques ». Pour des soignant·es, accompagnant·es des personnes présentant des troubles psychiques, professionnel·les de l’accompagnement social et juridique, la CNDA vient « servir un discours purement psychophobe et stigmatisant des malades, et [les] rend complices de telles discriminations ».
Par une décision du 14 février 2023, la Cour nationale du droit d’asile rejetait la demande d’asile d’un requérant afghan en retenant que son « activité en France […] constitue une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics » au motif qu’il « présente des troubles psychotiques lesquelles abolissent son discernement et entravent le contrôle de ses actes ».
Une stigmatisation des demandeurs d’asile atteints de troubles psychiques : un danger pour « ce qu’ils sont » à défaut de « ce qu’ils font »
Après avoir détaillé l’origine des troubles psychiques du demandeur d’asile dans les violences policières subies lors de son exil, et avoir rappelé à plusieurs reprises que cet état le conduisait à être dangereux « notamment pour lui-même », la Cour n’hésite pas à en conclure qu’il est un danger « pour autrui », « une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics ».
Considérer ainsi qu’un état clinique, par ailleurs pris en charge sur le plan médical, est de nature à mettre en danger la société, du seul fait de son existence, est une discrimination directe à l’encontre des personnes présentant un trouble psychique. Ici, aucune condamnation, aucune poursuite pour des faits répréhensibles, sauf à considérer que présenter des troubles psychiques suffit à caractériser la menace.
L’ « isolement social » vient, pour le juge, s’ajouter aux reproches adressés au demandeur d’asile, puisqu’il le rendrait « gravement dangereux pour autrui ». La CNDA oublie que les discriminations visant les personnes présentant des troubles psychiques ne jouent pas seulement quand elles sont devant le juge de l’asile : elles portent également sur tous les domaines de la vie quotidienne et notamment sur l’accès à une vie sociale indépendante. Mais ici, qu’importe : s’il n’a pas de vie sociale riche, le malade est d’autant plus dangereux pour les autres !
L’état sanitaire en Afghanistan et les traitements réservés par la justice talibane aux personnes présentant une pathologie psychiatrique, rappelés par la Cour tout au long de son raisonnement, ont une coloration bien cynique : si en Afghanistan, les malades n’ont pas accès aux traitements, en France, ils n’auront pas plus accès à la protection, quand bien même il est clair, et c’est le juge de l’asile qui l’affirme, qu’ils risquent en Afghanistan « la peine de mort ou une exécution » ou « la torture ou des peines ou des traitements inhumains et dégradants ».
Une défiance à l’égard du corps médical et médico-social
Peu importe la prise en charge médicale, ici thérapeutique et médicamenteuse suivie par le demandeur d’asile, la Cour est sans appel : les troubles psychotiques sont de nature à justifier une admission en soins psychiatriques et par conséquent, à constituer une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics.
La prise en charge médicale serait sans effet sur la stabilité psychique de l’intéressé, mais viendrait seulement légitimer, pour la Cour, sa dangerosité.
Pour nous, soignant·es, accompagnant·es des personnes présentant des troubles psychiques, professionnel·les de la santé et de l’accompagnement social et juridique, spécialistes des questions de santé, ce raisonnement est insupportable :
D’abord, il révèle une grande défiance à l’égard du corps médical et médico-social, dont le rôle dans le soin et dans l’insertion est réduit à néant, et n’aurait aucune incidence sur la sauvegarde de la tranquillité publique.
Bien plus, il vient servir un discours purement psychophobe et stigmatisant des malades, et nous rend complices de telles discriminations.
On pensait jusqu’alors que produire devant la Cour un certificat médical de suivi psychiatrique aiderait la Cour à établir un besoin de protection. Il n’en est rien.
Le Conseil d’Etat avait ouvert la voie à une psychophobie institutionnelle (CE, 22 avril 2022, n°455520), la CNDA a vite pris le pli.
Signataires :
Structures :
Act-Up Paris
Centre Primo Levi (via Antoine RICARD)
Collectif poitevin D’ailleurs Nous Sommes d’Ici
Dom’Asile (via Cathy CLAVERIE)
ELENA- France (via Lucille WATSON)
Le Fil Conducteur Psy (via Catherine SKIREDJ-HAHN)
Groupe Accueil et Solidarité GAS (via Philippe DUPOURQUE)
Ligue des droits de l’Homme
MéDA, Médecine et droit d’asile (via Nicole SMOLSKI)
Médecins du Monde (via Florence RIGAL)
Parcours d’exil (via Clémence CHAMOIN DE GOURCY)
Le Printemps de la psychiatrie
Revue Pratiques. Les cahiers de la médecine utopique (via Marie-Odile HERTER)
Union syndicale de la psychiatrie
ACKER Françoise – Sociologue, IR CNRS à la retraite
APPRILL Olivier – Psychanalyste, Paris
AUBRON-OLIVIER Camille – médecin, Parcours d’exil
BASILIEN-GAINCHE Marie-Laure – Professeure de droit public, Université Jean Moulin Lyon 3
BASUYAU Laura – Médecin, Parcours d’exil
BAUBET Thierry – Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Sorbonne Paris Nord
BAYARD Pierre – Professeur à l’Université Paris 8 et psychanalyste
BELLAHSEN Mathieu – Psychiatre de secteur, Cofondateur UTOPSY, membre du collectif des 39
BOISSEL Pascal – Psychiatre, militant de l’Union syndicale de la psychiatrie
BOUYSSOU-GAUCHER – Psychologue clinicienne
BONI Livio – Psychanalyste, Directeur de programme au Collège internationale de Philosophie, membre du Collectif de Pantin
CANIL Isabelle – Orthophoniste Marseille
CHAFFEL Boris – Psychanalyste, Collectif de Pantin, Paris, CMPP
CHEMLA Patrick – Psychiatre psychanalyste, Reims
CLEAU-ANDRE Hélène – Sociologue, Besançon
COUTANT Isabelle – Directrice de recherche au CNRS
COTTIN Colette – Psychiatre, à la retraite Centre Médical Europe – EPS Barthélémy Durand
CUCCINIELLO Raffaela – Psychologue clinicienne, CMP Paris
CUISINIER CALVINO Laetitia – Psychologue clinicienne, Nantes, Consultation transculturelle du CHU de Nantes
DACULSI Pierre-Henri – Médecin, Parcours d’exil et Maison des femmes de Saint-Denis
DAMOUR Dominique – Psychologue clinicienne, membre du Collectif 39
DE CHAISEMARTIN Jean-Michel – Psychiatre des hôpitaux honoraire – médecin-chef de secteur et de pôle de psychiatrie, retraité
DE ZITTER Linda – Psychologue clinicienne, psychanalyste, Pôle Paris Centre
DEKENS Sandrine – Psychologue clinicienne, Hôpital André Grégoire de Montreuil
DERIVAUX Wenceslas – Infirmier, Centre Ressources Régional Psychiatrie du Sujet Âgé, Dijon
ENJOLRAS Franck – Psychiatre et Anthropologue, Iris, Paris
ENOT Anne – Pédopsychiatre
FEDERMANN Georges Yoram – Psychiatre gymnopédiste, CMPP
FOUCHARD Maude – Psychologue clinicienne et fondatrice de l’association Etape
FOURNIER Cécile – Médecin de santé publique et sociologue
GARNOUSSI Nadia – Maîtresse de conférence en sociologie, CERIES, Université de Lille
GARREC Ivan – Doctorant en sociologie de la santé et de la santé mentale, IRIS, Université Sorbonne Paris Nord
GASSER Philippe – Psychiatre, Uzes
GAUCHER Christine – psychologue clinicienne-psychanalyste, Vincennes
GEKIERE Claire – Psychiatre
GISSELBRECHT Mathilde – MCU-PH Oncogériatrie AP-HP
GLACHANT Delphine – Psychiatre
HAMELIN Christine – Maîtresse de conférence en sociologie de la santé UQSV/INED
HENCKES Nicolas – Sociologue, chargé de recherche CNRS CERMES3
HENRI Odile – Sociologue Université Paris 8 et Centre de Sciences Humaines (Delhi)
IRZENSKI Liliane – Pédopsychiatre psychanalyste Paris
JOURNET François – Psychiatre, Villefontaine, Isère
KACHMAR Chiraz – Cadre de santé, Présidente de l’association ô féminia
KUTAHNECI-ROGER Meltem – Psychanalyste, Membre du Collectif de Pantin, Paris, CMPP
LABES Françoise – Psychiatre, bénévole à la VSPP Médecins du Monde Paris
LARCHANCHE Stéphanie – Anthropologue et psychothérapeute SFU-Solidaire
LEROI CAGNIART Lionel – Psychologue du travail, Paris
LEWEURS Anaïs – Coordinatrice domiciliation et procédure d’asile, Association Dom’Asile
MANAC’H Léo – Doctorant en anthropologie Ceped, Université de Paris, ICM
MARICHEZ Héloïse – Psychologue clinicienne, Centre régional du psychotraumatisme Paris Nord CRPPN
MARTIN Jean-Pierre – Psychiatre, Médecins du Monde
MEISTER Sofia – Doctorante en sociologie, IRIS/CEPED, EHESS
MENDELSOHN Sophie – Psychanalyste, Paris, Collectif de Pantin
MERMIER Bernadette – Psychologue clinicienne et cinéaste
MESTRE Claire – Psychiatre et anthropologue, Co-organisatrice du DU Médecines et soins transculturels, Université de Bordeaux
MORO Marie-Rose – Professeure de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université de Paris Cité
PAGES Anne – Médecine phoniatre, Paris
PARESYS Pierre – Psychiatre de secteur
PELON Emmanuel – Psychiatre
PERRAUT SOLIVERES Anne – Cadre de santé, infirmière à la retraite. Directrice de rédaction, Paris
PHILIBERT Nicolas – cinéaste
PIAULT Thomas – Psychologue et psychanalyste
PICHON Antoinette – Psychologue clinicienne, Paris
RIVIERE Marie-Christine – Infirmière hospitalière à la retraite, spécialisée en géronto psychiatrique, Toulouse
RIVIERE Gérard – Médecin généraliste, Cabinet libéral, Maison de santé, Agen
ROUQUETTE Alexandra – PUPH Santé Publique, Université Paris Saclay, Hôpitaux Universitaires Paris Sud
ROUSSEAU Delphine – Psychologue, Paris
SAGLIO-YATZIMIRSKY Marie-Caroline – Professeur, Anthropologue, Inalco, Paris, Directrice de l’Institut Convergences Migrations
SIFER-RIVIÈRE Lynda – Sociologue, SESSTIM, ISSPAM
SILVA Danièle – psychologue clinicienne, Gironde
SLAMA Serge – Professeur de droit public, Université Grenoble Alpes
SOUIAH Yasmine – Infirmière en psychiatrie adulte, EPS Ville Evrard
SVANDRA Philippe – Cadre de santé retraité, PhD Philosophie, spécialiste éthique des soins
VELPRY Livia – Sociologue, Université de Paris 8
VELLUT Natacha – Psychologue chercheuse CNRS et psychanalyste, CNRS
VELUT Nicolas – Psychiatre, Toulouse
VIGNES Jean – Ancien secrétaire général de SUD Santé Sociaux
VILLAIN Marie-José – Psychologue clinicienne
VINCENT Bruno – Psychanalyste, Paris
VOISIN Elodie – Sociologue, CRESSPA
VUATTOUX Arthur – Maître de conférences en sociologie, Université de Paris Nord, IRIS
WARSZAWKI Josiane – MCU-PH Santé publique, Université Paris Saclay, Hôpitaux Universitaires Paris Sud